Le web de Dominique Guebey – Optique et technologie photo

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Objectifs ultra-lumineux (suite)

Courtes focales, alias grands-angles

Sommaire

Résumé

Depuis longtemps, des formules optiques appropriées permettent un très grand angle de champ avec une excellente définition et une quasi-absence de distorsion. Ces objectifs répondent très bien aux exigences de la cartographie aérienne et de la photogrammétrie. En revanche ils sont peu lumineux, et s’ils conviennent pour des photos d’architecture, il ne satisfont pas les reporters, eux-aussi friands de grands angulaires.

Ces grands-angles classiques ont encore deux défauts importants :

La parade aux différents écueils des grands-angles classiques se trouve dans le téléobjectif inversé ou retrofocus. Alors que les formules téléobjectif (cf supra) permettent de réduire la longueur de l’ensemble au prix d’un angle de champ restreint, ces optiques grands-angulaire se caractérisent a contrario par un éloignement du foyer par rapport au plan image.

Formules classiques

Quelques repères :

Hypergon

Inclinons nous d’abord devant le Goerz Hypergon du début du XXe siècle, dont les deux simples ménisques autorisaient un angle de champ sensationnel de 140°, libre d’astigmatisme [*], de courbure de champ [*] et de distorsion, mais d’ouverture limitée en pratique à f/32 (pour éliminer l’aberration chromatique). L’Hypergon est un exemple remarquable de l’ancien type périscopique [http://www.dg77.net/photo/tech/fastold.htm#recti]. On épargnera au lecteur la description du diaphragme et son mode d’emploi.


Les anastigmat symétriques à six lentilles en deux groupes

Cette catégorie est évoquée plus haut (cf section « Du Dagor au Plasmat »). Ils offraient depuis 1893 des caractéristiques intéressantes : bonne correction (astigmatisme [*], planéité de champ, distorsion), image contrastée (« brillance », due au nombre limité de groupes), le tout sans préjudice d’un confortable angle de champ (>70° minimum, et 90° à f/16).

L’archétype en était le Dagor de Goerz (cf illustration). Cette formule ne permet pas d’atteindre une grande ouverture, même si des versions évoluées (lentilles séparées ou supplémentaires) ont permis d’aller un peu plus loin que les f/6,8 du Dagor.

Source : dioptrique.info [http://dioptrique.info/]
Schema du Goerz Dagor l:200, h:189, 57381, JPEG

Les objectifs de ce type ont la particularité d’être dédoublables : chaque groupe peut être utilisé seul et donne alors un objectif de focale approximativement double de l’optique complète, certes moins bien corrigé, mais à la qualité encore acceptable. Les Symmar (Schneider) et Sironar (Rodenstock) font partie de cette postérité.


Anastigmat à 4 lentilles séparées

Ce dérivé du type Gauss est une sorte d’Hypergon amélioré. Cela a donné d’excellents objectifs de topographie ou reconnaissance aérienne, mais avec une luminosité limitée à f/6,0. Par exemple le 6,2/125 Aquilor de la S.O.M. (Sté d’optique et mécanique) Berthiot1, qui couvrait le format 13x18 cm. Au début des années 70, on a pu voir un des 14 Boeing B-17 reconvertis de l’Institut Géographique National posé sur le tarmac de l’aéroport de Lyon-Bron. Un Aquilor était probablement accroché sous son ventre.
En petit format on a des exemples un peu plus ouverts : cf l’illustration qui montre le vieux (1950) Canon S de 25mm/3,5.


Objectifs à lentilles extrêmes divergentes (Biogon)

Après la guerre de 14-18, les opticiens s’attelèrent à développer des formules spécifiques combinant de grands angles de champ et une qualité améliorée avec moins de vignettage [*].

Dans les années 1920, Schneider (chef concepteur : Tronnier) produisait son Angulon à 4 lentilles séparées, de bonne qualité avec un angle de 105°, et d’ouverture attractive de f/6,8 : même si l’utilisateurs de chambre grand format travaille habituellement à f/16 et au-delà, il n’est pas insensible à l’idée de disposer d’une plus grande ouverture qui rend bien plus précise la mise au point, et facilite l’examen de l’image sur le dépoli. La version récente de l’Angulon toujours f/6,8, comporte 6 lentilles (2 groupes) pour un champ de 81 à 85 degrés suivant les focales. Très peu encombrant, il offre un rapport qualité/prix qui en fait toujours une excellente affaire.

Angulon f/6,8   1930
Schneider Angulon f/6,8 l:224, h:190, 7967, JPEG

L’utilisation de deux grands ménisques assez séparés des éléments intermédiaires a donné, entre autres, les Super Angulon [http://www.dg77.net/photo/linhof/index.htm#supang90] de Schneider et Biogon de Zeiss. Le Carl Zeiss Jena Biogon pour 24x36 3,5 cm f/2,8, produit en 1936 semble avoir été un précurseur  (un ménisque placé devant la partie arrière d’un Plasmat). L’ouverture était remarquable et la qualité supérieure à la concurrence moins lumineuse. Cet objectif ne contribuait pas peu au lustre des Contax d’avant-guerre. Après-guerre et comme d’autres optiques fabriquées par Krasnogorski Mekhanicheskii Zavod, le Jupiter 12 continua la production (et non pas fut la copie) de ce Biogon. C’est un de ces bons objectifs inutilisables sur un reflex2.

Biogon 2,8/35 1936
Zeiss Biogon 2,8/35 1936 l:230, h:161, 6987, JPEG

Mikhail Mikhailovitch Rusinov (ou Russinov) conçut en 1946 une formule composée de deux ménisques extrèmes autorisant un angle de champ de plus de 90°.

Russar par Rusinov, 1946
Russar bay Rusinov l:210, h:152, 8731, JPEG

Ludwig Bertele dessina son Biogon nouveau suffisamment différent du Russar pour être produit dans les années 1950. L’excellent Biogon 1:4.5/38mm à 8 éléments de l’Hasselblad SWC/M 6x6 (équivalant grosso modo à une focale de 21mm en 24x36) est très connu par les utilisateur du moyen-format.

Biogon 38mm/4,5 (6x6)
Biogon 38mm/4,5 l:187, h:123, 7137, JPEG

Le Biogon 38mm f/4,5 est une version simplifiée du 75 mm à 10 lentille de 1953, couvrant un cercle de 153 mm. A cette époque, Bertele avait aussi développé pour la Sté suisse Wild Heerbrugg son Aviogon à haute définition. De tels objectifs ont largement servi en missions de reconnaissance aérienne, sous le ventre de Phantom F-4 et autres Jaguar, ce qui est un signe de qualité (on sait que Messieurs les Militaires aiment le beau matériel).

Aviogon
Wild Aviogon l:200, h:137, 13040, JPEG

Schneider Kreuznach dût attendre les années 60 pour lancer son Super Angulon [http://www.dg77.net/photo/linhof/index.htm#supang90] f/8,0 (6 él./4 gr.) très proche du brevet du Russar de Rusinov. Il en existe une version particulière de focale 53 mm destinée au format 6x9 dont l’ouverture est de f/4,0 (8 él./5 gr.). Il faut distinguer ces objectifs d’autres modèles comme les PC Super Angulon (35 et 28 mm) fournis en différentes montures pour 24x36, qui sont des quasi-retrofocus (cf infra).

En petit format, il existe des Biogon à grand angle de champ et ouverts à f/2,8, comme le 21mm pour Contax G. Dans la série Zeiss ZM 24x36 à monture compatible Leica M apparue en 2006, figure un 35mm f/2 (9 éléments en 6 groupes). Un angle de champ modéré mais atteignant une ouverture attractive. Cet objectif est vraiment très bon… à condition de fermer un petit peu le diaphragme.

Zeiss Biogon T* 2/35 ZM 2006
ZM Biogon 35/2.0 l:270, h:153, 20193, JPEG

Téléobjectif inversé (retrofocus)

Jadis, les caméras dédiées au Technicolor nécessitaient 3 films pour enregistrer simultanément chacune des couleurs primaires. Le procédé permet de conserver d’admirables prises de vues de l’époque ; mais le dispositif séparateur de faisceaux entraîne un éloignement du film par rapport à l’objectif. Pour répondre aux contraintes de ces caméras très spéciales, Lee (Taylor, Taylor & Hobson) breveta en 1931 un système utilisant le principe du téléobjectif inversé. L’objectif était un 35 mm f/2,0 constitué d’un Opic précédé par un doublet négatif.

Dans un premier temps, ce retrofocus originel n’inspira guère les photographes ; il est vrai qu’il ne s’imposait pas sur les appareils du moment, d’autant plus que ce 35 mm pour Technicolor était positivement énorme. Mais plus tard, quand apparurent les reflex mono-objectifs, l’utilité du principe se fit sentir avec acuité ; et en 1950 le français Angénieux introduisit en photographie grand-public le « téléobjectif inversé », sous le nom de retrofocus. A commencer par son 35 mm f/2,5 pour appareils Alpa, Leica et Exakta.

Le principe n’était pas nouveau, mais les Angénieux ne furent pas de simples copies de l’objectif de Lee. Ces nouveaux calculs étaient bien adaptés à leur utilisation et reçurent un accueil remarqué. Rappelons que « marque déposée » (trade mark) et brevet (patent) sont deux notions distinctes : qu’Angénieux ait été propriétaire de la désignation Rétrofocus (devenue aujourd’hui un terme générique) n’empêche pas que c’est bien Taylor, Taylor & Hobson qui avait déposé vingt ans plus tôt le brevet d’invention utilisant l’idée.

Or donc, les objectifs retrofocus se distinguent par la présence d’un élément divergent de grande taille placé en avant du système optique convergent. Cette configuration est assez volumineuse, mais elle a permis d’obtenir de très courtes focales au vignettage [*] modéré et utilisables sur appareils reflex. De plus des luminosités intéressantes peuvent ainsi être atteintes avec une bonne qualité générale. En raison de la structure très disymétrique du rétrofocus, un groupe flottant est souvent ajouté pour maintenir une qualité acceptable aux plus courtes distances.


Semi-retrofocus

A partir des formules symétriques du type Biogon, on a vu apparaître des objectifs où le centre optrique est décallé vers l’arrière, ce qui améliore le dégagement entre la lentille arrière et la surface sensible. Parmi les résultats recherchés, on voulait corriger le défaut principal, le vignettage [*], mais sans trop perdre des qualités (absence de distorsion, excellente netteté). Le Leitz Elmarit-M 2,8/21 mm de 1980 était un exemple de ce type d’évolution, plutôt réussi. Les Distagon de Zeiss peuvent être inclus dans la même famille.

Sous le terme « semi retrofocus » on met des objectifs qui peuvent être assez différents entre eux mais surtout ne répondent pas à la définition stricte du téléobjectif inversé.

Intérêt d’un grand angulaire ultra-lumineux

Il peut sembler curieux de vouloir utiliser de tels objets, alors que l’intérêt majeur d’un grand-angle est a priori de disposer d’une importante profondeur de champ [*], ce qui va de pair avec une certaine fermeture du diaphragme. Mais avec les boîtiers reflex généralement utilisés par les photographes qui se veulent sérieux, l’expérience montre qu’au grand angle il est difficile de faire un point précis sur le dépoli. Viser avec une ouverture très poussée (et donc une faible profondeur de champ) apporte une meilleure garantie qu’on aura le point sur le sujet qu’on a choisi et non pas sur le décor. La photo aura plus de chance d’être réussie qu’avec un objectif meilleur en théorie mais moins lumineux.

Exemples de grands angulaires ultra-lumineux

Grâce aux surfaces asphériques et aux progrès des calculateurs électroniques, on a pu concevoir des formules complexes aboutissant à des objectifs encore plus lumineux et d’une qualité plus que satisfaisante.


Canon 24 mm f/1,4 (1975 / 1997)

Le Canon FD 24 mm f/1,4 S.S.C. Aspherical : paru en 1975, avait 10 éléments en 8 groupes. Angle de champ : 84°.


EF 24 mm f/1,4L USM : 1997, 11 éléments en 9 groupes (vignettage [*] et aberration chromatique [*] améliorés).


Zuiko 21mm f/2,0 (1978)

Super grand-angle pour Olympus OM, très lumineux mais compact (long. : 44 mm, poids : 250 g.) ce qui se paie par de la distorsion et un fort vignettage[*] à f/2, Pas trop grave si on considère que c’est essentiellement un outil de reportage. A part ça, bonne qualité d’image. 11 éléments en 9 groupes, pas de lentille asphérique mais un groupe flottant3.


AF Nikkor 28mm f/1,4D (1994-2006)

11 éléments en 8 groupes. Une face asphérique (réalisée dès la phase du meulage : un progrès depuis le Noct-Nikkor de 1977). La formule, plutôt sophistiquée, comporte deux ensembles flottants dont l’un se déplace à l’intérieur de l’autre : une mise au point interne, comme un téléobjectif moderne. Coûteux mais une référence en argentique.


Summicron 28 mm ASPH (2002)

On a déjà évoqué plus haut ce Summicron-M 28 mm ASPH f/2,0 de Leica. 9 éléments en 6 groupes, long de seulement 4 cm. Cet objectif, d’une ouverture alors peu courante pour un grand angulaire, écrasait par sa qualité tout ce qui avait été fait auparavant dans la focale, toutes ouvertures confondues.


Voigtlander Ultron 28 f1.9 aspherical (2000-2008)
Optical schema Ultron 28mm f1.9 aspherical LTM l:360, h:226, 15722, JPEG

Cosina-Voigtlander commença a produire des optiques à lentilles asphériques vers 2000. Ce 28mm faisait partie du trio 28-35-50 à monture vissante M39 (LTM) comme le Nokton de 50mm sommairement décrit dans notre page “Formules à surfaces asphériques [http://www.dg77.net/photo/tech/fastasph.htm#nokton5015]”. Sa qualité optique était suffisamment honorable pour donner du vague à l’âme à ceux qui avaient dépensé le quadruple de son prix pour s’offrir le Summicron ASPH précité.


Sigma 20mm f/1,8 EX DG RF Aspherical (2002)

13 éléments en 11 groupes. Angle de champ : 94,5°. Montures Sigma, Canon EF, Nikon D, Sony-Minolta, Pentax.


Nouveautés ASPH Leica septembre 2008 (10 sept 2008) : 21 et 24 f/1,4

Outre le nouveau 1:1.4/24 mm (et un Noctilux 50 mm f/0,95) noter surtout un impressionnant Summilux-M 21 mm ASPH (Summilux donc f/1,4). Il faut comprendre que diriger et optimiser un tel flux d’énergie lumineuse sous un aussi vaste angle de champ (90°) est au moins aussi méritoire que le calcul d’un 50 mm (45°) ouvert à f/1,0. Sur un M8 numérique il correspond à un 28 mm en 24x36.


AF-S Nikkor 24 mm f/1,4 G ED (2010)

Mars 2010 – 12 él. (dont 2 asphériques)/10 gr.


Zeiss Distagon T* 2/25 (fin 2011)

F/2 plutôt que 1,4 : Carl Zeiss a choisi de ne pas aller dans les extrêmes ce qui permet d’allier une qualité remarquable à un prix plutôt raisonnable (11 él./10 gr., montures ZE et ZF.2 – pour Canon EF et Nikon F).


Voigtländer Ultron 1,8/21 mm VM aspherical (2013)

Un objectif ambitieux mais abordable, vu à la Photokina en septembre 2012 et sorti en 2013.

l:240, h:167, 25747, JPEG

Un article détaillé sur ce grand-angle se trouve dans une page du présent site web [http://www.dg77.net/photo/VC/ultron21.htm].


Nokton 10,5 mm f/0,95 (2014)

Objectif pour format M43 (équivalent d’un 21 mm en 24x36). Voir la page exemples.


Leica 28mm Summilux-M f/1.4 ASPH (2016)
Leica 28mm Summilux-M f/1.4 ASPH l:280, h:198, 23649, JPEG

Annonce : mai 2014 (série limitée), puis 2016 pour l’entrée au catalogue. Cette focale classique s’ajoute aux 21 et 24 de 2008, pour constituer une gamme unique de grands-angles très lumineux.


Voigtlander Nokton 21mm F1.4 Aspherical VM (2019)
Cosina Voigtlander Nokton 21mm f1.4 aspherical VM l:320, h:274, 21576, JPEG

Cet objectif très grand-angle, imposant par rapport à la plupart de ceux qui précèdent, vise à concurrencer le Summilux équivalent de chez Leica – il est également disponible en monture Sony E.


Projets divers

Ultra grands-angles

On parle ici d’objectifs à champ supérieur à 90°. Longtemps, les f/2,8 atteints par quelques specimens furent considérés comme authentiques exploits. C’est en effet 7 crans de diaphragme gagnés sur l’Hypergon, soit 128 fois plus de lumière… Mais à la dernière époque, les progrès techniques on permis d’aller plus loin.

Dans l’époque “classique”, nous signalerons, pour appareils 35 mm :

Depuis, les choses ont progressé. En 2023, Sigma propose un 14mm f/1.4 DG DN Art (pour appareils Sony E). La formule optique comporte 19 éléments en 15 groupes, dont 3 lentilles en verre FLD et 1 SLD (LD = Low Dispersion : faible dispersion). 4 sont asphériques. Ce grand angle assez spectaculaire comporte un collier de pied, comme un téléobjectif de sport. Des filtres gélatines sont utilisables à l’arrière.

Sigma 14mm f/1.4 DG DN Art – newguest88.pixnet.net
Sigma 14mm f/1.4 DG DN Art l:577, h:364, 29872, JPEG

Notes