Carl Zeiss C Sonnar T* 1,5/50 mm ZM
Sommaire
Naissance et réception du C-Sonnar
Carl Zeiss, associé à Cosina, produisit à partir de 2005 une gamme d’appareils argentiques à visée télémétrique pour film 135 (35 mm) ZI (pour Zeiss Ikon, de glorieuse mémoire), discontinués en 2012. Ils étaient accompagnés d’objectifs ZM utilisant une monture à baïonnette compatible Leica M. Sans surprise, un Planar [http://www.dg77.net/photo/tech/fastgaus.htm#planar] 50/2.0 était proposé comme objectif standard, évolution éprouvée du double-Gauss (6 lentilles en 4 groupes, schéma quasi-symétrique) pour une correction optimale et des images nettes, homogènes et contrastées, dès f/2 et à toutes les distances. Par sa conception et ses performances, le ZM Planar T* 2/50 est proche des Summicron (dernière version : 1979) et Summarit-M [http://www.dg77.net/photo/leicaM/sum50.htm] (2007) de chez Leica.
L’année suivante fut lancé un autre ZM 50mm, le C Sonnar T* 1.5. A première vue, l’intérêt était de disposer d’une optique plus lumineuse (ouverture augmentée de 2/3 de diaphragme), par ailleurs agréablement compacte. Mais à l’examen on découvre une toute autre ambition. Les experts d’Oberkochen, partant de l’objectif inventé par Ludwig Bertele en 1924-1929, ont voulu créer un objet unique en reprenant la formule de son Sonnar (cf notre section spéciale dans la page sur le triplet et sa famille [http://www.dg77.net/photo/tech/fasttrip.htm#sonn]). Le résultat en est cette optique à l’inimitable « rendu », parfois déconseillée à l’amateur aux goûts supposés simples, rejetée avec rage par certains déçus, mais qui fait les délices d’autres photographes, au point que quelques iconoclastes la préfèrent au Leica Summilux ASPH [http://www.dg77.net/photo/tech/fastasph.htm#lux50asph]… alors qu’il est clair que le C-Sonnar n’a pas pour vocation première de rivaliser avec la netteté démentielle assurée par celui-ci.
Description
- Formule optique : 6 éléments en 4 groupes, une évolution du Sonnar 1931 (cf infra).
- Traîtement antireflet T* dont la réputation n’est plus à faire : les objectifs ZM semblent immunisés contre le flare et les réflexions parasites.
- Qualité de fabrication : les objectifs ZM sont réalisés au Japon par Cosina – avec un contrôle qualité réalisé sur place par des techniciens Carl Zeiss, ce qui devrait rassurer les esprits chagrins1. Fabrication tout-métal, y compris la bague et son bossage d’aide à la mise-au-point.
- Diaphragme :
- F/1,5 à f/16.
- 10 lames au profil spécialement étudié.
- Crantage par tiers de valeur : luxe qui veut prouver une haute précision, mais presque superflu.
- Distance minimum : 0,90 m, que certains trouveront un peu trop éloignée.
- Ergonomie : sans faute ;
- Très compact, quoique très lumineux : 38 mm de long, mesuré depuis la monture2 : c’est probablement le plus petit objectif disponible dans la catégorie f/1,4-1,5 (sans parler des f/0,95-1,2, énormes à côté de celui-ci).
- Aucune gêne (et il s’en faut de beaucoup) dans le viseur des Leica M7/MP/etc.
- Mise-au-point rapide (rotation sur 90 degrés, difficile de trouver plus court).
- Pas d’ergot de mise-au-point, mais génial petit bossage idéalement placé sur la bague3.
- Commande de diaphragme très bien placée, cannelage latéral bien étudié.
- Repère de montage tout petit et pourtant très sensible sous le doigt : impeccable pour les changements d’objectif hâtifs.
- Bouchon avant double usage (on peut le manipuler par les bords ou en le pinçant au centre) intéressant. Avantage : peut être installé même avec le pare-soleil monté. Inconvénient : propension à se briser à la première chute.
- Pare-soleil bien conçu et réalisé, fixé sur une baïonnette maison ; mais vendu (cher) séparément – un scandale. Il semble par ailleurs (à notre humble avis) qu’il aurait pu couvrir d’avantage que ce couteux enjoliveur quasi-imposé par le fabricant.
- Monture avant pour filtres M46, ce qui nous permet d’y visser le luxueux pare-soleil du Konica 35/2.0 M-Hexanon [http://www.dg77.net/photo/leicaM/hexanon35.htm]. On ne peut plus, alors, installer le bouchon, mais tant pis…
Performances et rendu
Comparaisons
Voir un comparatif sommaire [http://www.dg77.net/photo/zm/noctson.htm] du C-Sonnar à pleine ouverture avec le Leitz noctilux à f/1,4.
Un aperçu des flous du C-Sonnar comparés à ceux du Leica Summarit-M 50/2.5 se trouve ici [http://www.dg77.net/photo/zm/summson.htm].
Si on suit le fabricant, un C-Sonnar fera merveille pour toute prise-de-vue sur le vif à main levée, particulièment pour le reportage en lumière difficile. Pour la photo documentaire et le travail sur trépied, et chaque fois qu’une définition élevée est requise (ou un contraste élevé sur tout le champ — architecture, paysage), on utilisera plutôt un objectif de formule Planar (par exemple Summarit-M ou Micro-Nikkor).
Ces considérations sont confirmées par le calcul et les mesures sur banc. Voir les courbes FTM à f/4 du C-Sonnar comparées à celles du ZM Planar.
La courbe du haut concerne les basses fréquences, c’est la seule qui compte tant qu’une haute définition n’est pas recherchée, notamment si on n’a pas l’intention de produire un tirage en grande format. Avec le C-Sonnnar les images seront pleinement satisfaisantes dans les situations où on déclenche au 1/60e avec une mise-au-point instinctive sur un sujet mouvant, cas où une optique « rasoir » n’apporte strictement rien.
A l’inverse, la courbe du bas concerne les prises-de-vue de sujets statiques (avec un appareil sur trépied ou un temps de pose ultra-court). On y voit une certaine supériorité du Planar, surtout dans les coins. Encore faudra-t-il produire un tirage de grande dimension pour que les différences apparaissent sérieusement.
Janus
Le C-Sonnar a une double personnalité qui vaut l’effort de le connaître :
- A pleine ouverture :
- Diaphragme fermé :
- Contraste très élevé.
Quelle que soit l’ouverture
- Séparation très marquée entre la zone nette et la zone floue. Voir la comparaison avec un Leica Summarit-M.
- Les flous restent agréables du centre jusque sur les bords, à la différence (par exemple) du vénérable Summitar.
Flare
Résistance insolente aux éclairages difficiles.
Vignettage et distorsion
Ces deux défauts sont corrigés d’une manière qui dépasse largement ce qu’on attend d’un objectif orienté reportage en lumière ambiante.
Couleurs
Neutres. Le C-Sonnar est apprécié par de nombreux amateurs de noir-et-blanc. Mais il serait vraiment dommage de ne pas voir ce qu’il peut donner en couleur.
Exemples
C-Sonnar à f/1,5
C-Sonnar à f/2.8
C-Sonnar à f/5,6
Intérieur flash
Film Kodak T-MAX 400 (TMY) Coup de flash en face d’une vitre, ce qui est en principe déconseillé. Preuve du flare bien maîtrisé : les ombres restent denses, sans brume ni débordement de l’éclair. Ouverture f/4, noter l’effet étoilé produit par les 10 lames du diaphragme au profil irrégulier.
Sur le type Sonnar
Le Sonnar de Bertele est un descendant du Triplet (1893, par H.D. Taylor), complexifié par l’ajout de lentilles dans les groupes intermédiaire et arrière. Les traîtements anti-reflets actuels, très performants, ont permis de supprimer une des lentilles : le C-Sonnar est une formule 1+1+1+3 au lieu des 1+3+3 de 1932, époque où on cherchait à limiter les surfaces air-verre en raison des indésirables reflets, aux effets néfastes sur le contraste de l’image.
On ne s’étendra pas davantage ici sur le type Sonnar. Pour aller plus loin, le mieux est de se plonger dans notre page ad-hoc [http://www.dg77.net/photo/tech/fasttrip.htm#sonn].
Sur le focus-shift
Pour utiliser le C-Sonnar au maximum de ses possibilités, il est nécessaire de connaître pourquoi et comment cet inconvénient se manifeste.
Explications
A pleine ouverture, les photons qui frappent la surface sensible proviennent en majorité (une majorité massive) de la périphérie de l’optique. Or, conséquence de l’aberration sphérique [http://www.dg77.net/photo/tech/optique.htm#anxabsph] qui frappe le Sonnar, ces rayons lumineux correspondent à une focale légèrement inférieure à la focale nominale, calculée en passant par le centre5. Mais au fur et à mesure qu’on ferme l’iris, les rayons centraux prennent plus d’importance, l’aberration sphérique se trouve gommée, la focale glisse vers sa valeur officielle.
Ce glissement du foyer de l’optique est nommé couramment focus-shift. Sa conséquence est que le télémètre des appareils à viseur séparé ne donnera une mesure juste que pour une ouverture précise6. Il importe donc de connaître cette valeur de diaphragme stratégique, laquelle aurait connu des fluctuations pour les C-Sonnar.
Le fait que le bloc optique soit calé sur f/2,8 facilite l’usage courant, mais rend difficile des images nettes à f/1,5-2,0. Dans l’autre sens, pour les plus petites ouvertures, le décallage est noyé dans la profondeur de champ. À une certaine époque, le fabricant aurait permis à ses clients de faire ajuster (gratuitement) l’objectif sur f/1,57. Pour déterminer sur quel diaphragme l’objectif qu’on utilise a été calé, le mieux est de procéder à un essai (d’ailleurs facile à réaliser, cf infra).
Modification du calage
Il ne semble pas que Zeiss se charge encore d’effectuer l’adaptation à la demande du client. Néanmoins, il est possible de démonter l’objectif et de modifier le calage existant. Des explications se trouvent ici :
- Disassembly – Carl ZEISS C Sonnar T* 50mm F1.5 ZM lens [https://yukosteel.wordpress.com/2018/07/02/disassembly-carl-zeiss-c-sonnar-t-50mm-f1-5-zm-lens/]
- Idem sur les archives du Web
Vérification rapide
Photos prises sur trépied à la distance minimale, avec un Leica M7 chargé en film inversible Fuji Provia 100. Les diapositives ont été scannées avec un Nikon Coolscan V ED, contrôlé par le logiciel Vuescan. Le point est fait en haut du post-it (bord le plus éloigné). On vérifie au premier coup d’œil que l’objectif est calé pour f/2.8.
Détail environ 1000x1000 des fichiers TIF d’origine environ 5450x3650.
Le diagnostic se vérifie à pleine ouverture sur la diapositive (Velvia 50) que voici. Le point est fait sur le profil de l’abbé Rozier (1734-1793) : les feuillages du premier plan forment un ensemble dont la netteté contraste avec le flou qui commence rapidement après le sujet ; or tout photographe sait qu’on doit s’attendre plutôt au contraire.
En pratique
Il serait dommage de ne pas utiliser le C-Sonnar comme objectif de base, car cela est parfaitement envisageable. Il fera généralement merveille, on bénéficiera par surcroît de son indéniable agrément d’utilisation.
Cela dit, la prise-de-vue aux plus grandes ouvertures demande de l’attention. Méthodes envisageables :
- Objectif optimisé pour 2.8 :
- Une correction doit être pratiquée à
pleine ouverture (f/1,5). Méthodes envisageables :
- Faire le point légèrement en arrière du sujet. Pour un portrait en gros plan, ce sera sur les oreilles plutôt que sur les yeux.
- Pour un objet de petite taille à courte distance (visage ou autre) : après la mise-au-point sur le sujet, effectuer un léger mouvement en avant au moment de déclencher.
- Le point étant fait, tourner la bague de mise-au-point en augmentant très légèrement la distance.
- Objectif optimisé pour 1.5 :
- Les ouvertures critiques sont f/2-2,8. Le décallage à réaliser sera inverse du cas précédent. Par exemple pour un portrait en gros plan : faire le point sur le nez plutôt que sur les yeux.
Notes
- 1. Les autres se souviendront que, depuis l’empereur Meiji (1852-1912) le Japon a, paraît-il, produit quelques bons techniciens…
- 2. Carl Zeiss donne la longueur totale avec les capuchons (63 mm), ce qui est d’un médiocre intérêt pratique.
- 3. Comme tout ergot de mise-au-point, cela sert aussi à empêcher l’objectif de débarouler dans le vide si on le pose couché…
- 4. Parfois on lit que ce « piqué » spécial ne se vérifie qu’au centre. C’est une impression due surtout aux conditions des tests, effectués sur une mire plane. Le C-Sonnar étant affecté de courbure de champ [http://www.dg77.net/photo/tech/optique.htm#courb], il est évidemment défavorisé pour ce type de concours, réalisée traditionnellement avec une page de journal épinglée sur un mur.
- 5. Si la focale est plus courte, cela entraîne que le tirage est relativement plus important. En conséquence le point est fait pour un sujet plus proche.
- 6. On peut contourner le problème du focus-shift si on utilise un appareil numérique disposant du Liveview, ou avec un reflex, dans les deux cas en faisant le point diaphragme fermé à la valeur présélectionnée. L’inconvénient est qu’on est à ouverture réelle : avec un diaphragme très fermé cela peut devenir quasi-impossible ou du moins très lent (vision obscurcie et profondeur de champ trop importante pour un point précis).
- 7. Selon la firme, le numéro de série lui-même ne permet pas de connaître le réglage de son objectif.