Le web de Dominique Guebey – Optique et technologie photo

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Objectifs ultra-lumineux (suite)

Le triplet et sa famille

Sommaire

Rôle essentiel des verriers

Vers 1884, le Dr Schott1 de la Société Abbe et Schott à Jena, commença à développer des verres à haut indice de réfraction. Il utilisait des additifs tels que le baryum pour obtenir des verres de type « crown »2. D’un seul coup il devenait possible de corriger l’astigmatisme [*], et ceci avec un nombre réduit de lentilles : enfoncé le rectiligne [http://www.dg77.net/photo/tech/fastold.htm#recti] !

Taylor & Cooke

Taylor-Cooke 1893
l:216, h:221, 5247, JPEG

Apparu en 1893, le triplet de Harold Dennis Taylor (1862-1943) consiste en 3 éléments séparés : une lentille divergente entre deux autres convergentes. L’ouverture originelle de f/6,3 fut amenée à f/3,5 et même plus. Cet objectif est peu homogène : l’image formée est bonne au centre mais se dégrade à la périphérie. Le triplet convient plutôt à :


Triplets poussés

L’antique firme française Hermagis (absorbée par Berthiot en 1934)3 avait produit le Perlynx, objectif lumineux pour cinéma avec seulement 4 lentilles séparées. L’ouverture atteint f/1,9 sur certains modèles. L’élément arrière du triplet est ici dédoublé ; la formule fut reprise dans le Cinor B de SOM-Berthiot. La même conception se trouve dans les Speedic (TTH) ou Prolinear (Rietzschel).

Cinor B 1:1.9 (ancien Perlynx d’Hermagis)
l:180, h:140, 24696, JPEG

Côté longues focales, l’intéressant LVM attire notre attention (p. 656 éd. 2001) sur les Zeiss de 1930 : 500 mm f/4,8, 700 f/5,0, 1200 f/7,0 contributions d’August Sonnefeld (30/8/1886 - 31/1/1974). Un de ses brevets de 1931 (US Pat. 1616765) concerne un « deformed triplet » ce qui signifie qu’il utilise une forme asphérique. Un second (US Pat. 1825828) donne en exemple un 2000 mm f/5,0 à quatre élément, la lentille frontale au diamètre respectable de 40 cm étant remplacée par deux éléments convergents à bas indice de réfraction. Dans les arguments qui précèdent les revendications du brevet, Sonnefeld souligne que le façonnage est ainsi considérablement facilité, de grandes lentilles taillées dans du crown pouvant demander plusieurs années de travail. Cet objectif possédait aussi une correction de la distorsion inusitée pour une si grande ouverture : une condition importante pour les astronomes qui ont besoin de clichés géométriquement fidèles.

US Pat. 1616765
US Pat. 2260368 l:300, h:178, 15366, JPEG
US Pat. 1825828
US Pat. 1825828 l:300, h:188, 15622, JPEG

Encore mieux : il est démontré qu’un simple petit triplet comportant deux faces asphériques [http://www.dg77.net/photo/tech/fastasph] et un plan image courbe peut dépasser les performances d’un Planar [http://www.dg77.net/photo/tech/fastgaus.htm#planar] à six lentilles.

Triplet à faces asphérique et champ courbe
Wilfried JAHN l:280, h:192, 11228, JPEG

Cf Wilfried Jahn sur www.theses.fr. [http://www.theses.fr/2017AIXM0331] L’idée d’un champ incurvé n’est pas nouvelle, mais les capteurs électroniques permettent de dépasser la théorie et d’en envisager la réalisation.

Tessar

Un quatrième élément collé à l’arrière du triplet améliore nettement les résultats photographiques. Cette configuration a donné le Tessar calculé en 1903 par Rudolph, à partir de sa trouvaille de l’Unar (cf ci-dessus) – constitué de 4 éléments séparés. Le Tessar donne une bonne image homogène dans un angle de 45°, angle correspondant à l’objectif « normal ». Grâce à lui il devint possible d’obtenir des agrandissements respectables à partir de négatifs petit format, pour le plus grand profit de millions d’amateurs et professionnels.

Tessar
l:240, h:186, 7474, JPEG

Le Tessar fut rapidement utilisé en versions f/6.3, 4.5 et 3.5. Dès avant les hostilités de 1914-1918, plusieurs industriels de l’optique, affranchis (ou se supposant tels) des brevets de Zeiss, se lancèrent dans la conception de nouveaux objectifs du même type (Dallmeyer Serrac f/4.5…). Le Tessar devint rapidement le type le plus répandu, seul le besoin d’ouvertures supérieures poussa vers le développement d’autres conceptions. Dans la limite de f/2,8 (f/4 en courts téléobjectifs) on en trouve encore des applications. Jusqu’à une période récente, le 50 mm Carl Zeiss Jena Tessar fut produit en quantités industrielles pour de nombreux appareils (cf la page 50 mm pour Werra [http://www.dg77.net/photo/werra/werra050.htm]).

l:240, h:290, 36400, JPEG
Tessar 45 mm f/2,8 pour reflex Yashica-Contax (~1985)
l:240, h:235, 18259, JPEG

Il a existé un Zeiss Tessar 5cm f/2,7 (~1926), peu performant mais suffisant pour une utilisation sur chambre « presse » ou en cinématographie4.

A noter : si le brevet du Tessar est depuis belle lurette tombé dans le domaine public, le nom commercial, lui, est toujours propriété de Carl Zeiss. Cela est vrai aussi pour les Planar et Sonnar.

Elmar et autres clones

À l’expiration du brevet, les types Tessar fleurirent un peu partout, comme les Schneider Xenar (ou certains Kodak Ektar). Signalons les Skopar de chez Voigtländer, apparus à la fin des années vingt. La mouture 1949 du Color-Skopar (par Tronnier) était quasiment apochromatique (cf www.klassik-cameras.de [http://www.klassik-cameras.de/Bessa_RF_histo_dt.html#Skopar] ) ; à essayer absolument si, par exemple, un Bessa II vous passe entre les mains.

Un cousin assez connu du Tessar fut l’Elmar de Leitz, apparu en 1930, qui contribua à faire du Leica l’arme absolue du reporter, et un rêve pour quantité d’amateurs. L’Elmar 5cm f3.5, conçu en 1926-1929 par Berek, était un calcul un peu différent, ce qui se voit à la courbure moindre de la lentille frontale – et aussi à la position du diaphragme, immédiatement derrière le premier élément. Cet objectif couvrait en fait le 3x4 cm. Il n’était pas correctement adapté à la photo couleur ; ce qui fut corrigé dans l’évolution de 1946 [http://www.dg77.net/photo/leicaM39/elmar50_35.htm], utilisant des verres aux terres rares, un traîtement anti-reflet, reconnaissable au crantage contemporain des diaphragmes (…4 - 5,6 - 8…).


Diverses évolutions du triplet

Le Tessar est limité en ouverture ; pour aller vers de plus grandes luminosités, il a fallu augmenter le nombre d’éléments, soit par des éléments additionnels, soit par dédoublement de lentilles. C’est pourquoi naquirent les Heliar, Pentac, Hektor et d’autes. Voici quelques détails sur cette épopée.

Heliar

Heliar / Dynar
Heliar 1900
Heliar 1900 C.A.H. Harting l:210, h:172, 6244, JPEG

L’Heliar est une formule à 5 éléments en 3 groupes. Il s’agit d’un triplet de Cooke amélioré par le dédoublage des 2 éléments convergents extrêmes. En 1900, Carl August Hans Harting (15/2/1868 - 21/9/1951) déposa un premier brevet, amélioré en 1902 (astigmatisme [*] et courbure de champ [*] laissaient à désirer). Son champ de 50° et sa bonne luminosité (f/4,5) lui assurèrent un succès immédiat. Il y eut une révision en 1903 baptisée Dynar, mais l’Heliar restait alors mieux corrigé de l’astigmatisme [*].

Dynar
Schema / Formule Dynar l:219, h:168, 21698, JPEG

Les Heliar sortis après 1925 par Voigtländer étaient en fait des Dynar. Une version de 1935 (Universal Heliar) permettait de faire varier l’aberration sphérique par déplacement de l’élément central : caractéristique particulièrement utile aux portraitistes [*]. L’Ektar Kodak de 1942 est aussi un type Heliar. Tronnier recalcula tout ça en 1949, ce qui donna le Color-Heliar, assez connu avec les 105mm f/3,5 des Bessa de Voigtländer.

Ces fameux Bessa en format 6x9 furent produits en 3 modèles. Par ordre de prix croissant ils étaient équipés respectivement d’un Color-Skopar (4 lentilles type Tessar, cf supra), d’un Color-Heliar et d’un Apo-Lanthar. Ce dernier, sorti en 1950, utilisait les nouveaux verres spéciaux et un design nouveau. Ses verres étaient du type radioactif jusqu’en 1955, mais pas après ; afin d’éviter la dominante jaune des premiers, on conseillera la plus récente version à ceux qui veulent utiliser l’objectif en prise de vue couleur.


Cosina Voigtländer Heliar 50mm f/3.5 & f/2.0 Classic (1999-2009)
Voigtländer Heliar 50 mm f/2,0 2009 l:163, h:129, 3957, JPEG

Vers 1999-2009, des Heliar (f/3,5 et f/2,0) ont été produits par Cosina-Voigtländer5. Les progrès des calculateur, mais peut-être plus encore en verrerie, permettent aux derniers 50 mm en monture M pour télémétriques 24x36 d’atteindre l’ouverture très utile de f/2,0 avec une qualité générale impeccable aux diaphragmes moyens, et un délicieux rendu « à l’ancienne » à pleine ouverture. Le schéma est singulièrement proche de l’Apo-Lanthar.

Quant au modèle plus modestement ouvert à f/3,5, il était admis que seul un Summilux ASPH de Leica pouvait éventuellement lui être comparé sur le plan de la définition. Les triplets ne sont donc pas à prendre pour une de ces familles déshéritées, composées d’individus un peu simplets, de ces pelés et autres galeux dont on parlerait presque avec gêne.


Cosina Voigtländer HELIAR 40mm F2.8 aspherical (2014 & 2022)

Objectif compact d’ouverture moyenne, à champ plus large que de coutume pour un Heliar. La lentille intermédiaire est asphérique, ce qui autorise une correction supérieure. La version 2014, en monture courte, fut plutôt anecdotique. L’objectif de 2022 (fourni en monture M et LTM) est autrement plus utilisable. Voir la page qui lui est consacrée [http://www.dg77.net/photo/VC/heliar40.htm].

Heliar 40/2.8 aspherical l:500, h:333, 83606, JPEG

Pentac

Le Pentac fut conçu en 1919 par L. B. Booth pour Dallmeyer. Il se présente sous la forme d’un triplet disymétrique aux éléments extrêmes doublés ; tout comme l’Heliar en somme, mais avec des verres à indice de réfraction élevé. À la sortie de la guerre 14-18, il fit sensation avec son ouverture de f/2,9, combinée à un bon angle (le 6 inches i.e. 150 mm couvrait le 4x5 – 10,2x12,7 cm), outre une qualité satisfaisante et un contraste meilleur que les Gauss f/2 (cf infra « Planar lumineux ») qui n’allaient pas tarder ; de même qu’un encombrement inférieur.

Pentac f/2,9 l:180, h:140, 12325, JPEG

On produisit des Pentac f/2,9 à partir de 1921 pour de nombreuses applications (chambres « presse » de reportage, cinéma, projection, version spéciale pour portraits à éléments mobiles) jusqu’après la seconde guerre mondiale, où il fut massivement utilisé comme objectif de reconnaissance aérienne. Si vous trouvez un appareil Williamson modèle F.24 (objectif Dallmeyer, TTH ou autre, 8" i.e. ~20cm) en service sur certains Spitfire, sachez que Kodak produit toujours son excellente Panatomic [http://www.kodak.com/eknec/documents/1e/0900688a802b091e/ti1172.pdf] en bobines de 5 pouces de large…

PR X1 Spitfire l:327, h:290, 67085, JPEG

BioTessar

Dans les années 1930, Zeiss produisait des BioTessar f/2,8 à 6 él./3 gr. – groupe avant de 2 lentilles, triplet au lieu de doublet à l’arrière. Meilleur que le simple Tessar f/2.7 mais plus encombrant, il s’agit de focales 135 et 165mm pour appareils moyen-format (6x9, 9x12cm).

Biotessar
Zeiss Biotessar l:195, h:142, 13567, JPEG

Hektor

Hektor 1931

De même que l’Elmar de Leitz était cousin du Tessar par Zeiss, on peut dire que l’Hektor est un proche de l’Heliar.

La photo couleur émergea dans les années trente. Ses Elmar n’ayant pas une correction chromatique suffisante, Leitz conçut les Hektor : dans ces formules, les éléments du triplets sont dédoublés en collages, ce qui permet l’amélioration voulue, mais au prix d’autres imperfections (aberration sphérique et focus-shift [*]). Un inconvénient supplémentaire de ce design est sa sensibilité aux défauts de fabrication : la qualité peut varier dans des proportions importantes d’un specimen à l’autre.

L’Hektor 50 mm (1931) avait une ouverture avantageuse de f/2,5. Il était peu homogène et, aux plus grands diaphragmes, ne brillait pas spécialement. Mais dès f/4 la qualité d’image rejoint puis dépasse celle d’un Elmar de la même période.

Formule optique Hektor f/1,9
Leica Hektor f/1,9 - optical formula l:249, h:203, 7913, JPEG

L’Hektor 135mm avait une formulation distincte : quatre éléments en trois groupes. Seule la partie centrale du triplet était dédoublée.

Poussant le concept, une ouverture de f/1,9 fut atteinte par le Leitz 73 mm Hektor (1931-19466). Il souffrait d’une notable aberration sphérique qui, avec cette focale, aurait pu en faire un objectif très bien adapté au portrait si sa mollesse congénitale n’avait pas eu tendance à s’aggraver à courte distance, fut-ce en diaphragmant désespérément (à quoi s’ajoutait du chromatisme quand même, un contraste très faible sur les bords aux grandes ouvertures, etc.). Il y eut aussi des Hektor Rapid pour le cinéma, f/2.0 (et même f/1,4 ou f/1,3 avec les éléments frontaux séparés).

Hektor 73mm f/1,9 sur un Leica I l:202, h:162, 10820, PNG

Les ingénieurs cessèrent ensuite de s’acharner dans cette direction, où ils risquaient de se perdre dans la brume.

Cosina Voigtländer Heliar 75 f/1.8 Classic (2010-2019)

A la grande joie des amateurs, l’été 2010 a vu la naissance d’un nouvel Heliar Classic, en focale 75 mm, ouvert à f/1,8. Un rêve pour ceux qui cherchent un objectif à portrait et trouvent le 50 mm un peu court. Cet objectif comporte 6 éléments suivant un schéma en trois doublets, étrangement semblable au fameux Hektor f/1,9. C’est une alternative digne d’attention au réputé mais trop recherché Summilux 75/1,4.

En 2019, Cosina-Voigtländer a remplacé cet objectif par un 75mm f/1.5 Nokton Aspherical de la gamme Vintage Line. Ce dernier, de formule différente, est un classique dérivé du double Gauss (voir plus loin).

Cosina Voigtländer HELIAR Classic 50mm f/1.5 VM (2021)

L’Heliar 5 lentilles de 2006 signalé plus haut ouvrait à f/2.0. Sur cet Heliar Classic VM, un 6e élément permet d’atteindre f/1.5. Ce 50mm-ci paru en août 2021 est baptisé Heliar mais est bien plutôt lui aussi un Hektor.

l:172, h:114, 3647, JPEG

Selon le fabricant, les aberrations conservées à dessein donnent une image douce et un remarquable bokeh à pleine ouverture. Le traîtement antireflet simple couche est destiné à accentuer le rendu « classique ». À rebours d’autres produits de la marque, il n’existe pas de version alternative « multicouche », ce qui tend à conférer une vocation spéciale à l’objectif. Si vous n’aimez pas le flare, passez votre chemin.

l:195, h:196, 13831, JPEG

En fermant le diaphragme (à 10 pales), on est censé obtenir (dès f/4) une netteté analogue à ce que donnent les autres 50 mm modernes. Ceci est à mitiger si on en croit les appréciations de passionnés qui se sont emparés de l’objet dès sa sortie (cf par exemple Fred Miranda [https://www.fredmiranda.com/forum/topic/1719880] , plus méticuleux que d’autres). Au surplus, l’objectif semble optimisé pour les plus courtes distances, ce qui confirme qu’il n’est pas à classer dans les « généralistes ». Les zones floues ont un aspect suffisamment particulier (d’ailleurs très intéressant) pour distinguer le bokeh, par exemple de celui d’un C-Sonnar de Zeiss [http://www.dg77.net/photo/zm/csonnar50.htm#ex] (pourtant plutôt réputé dans ce domaine).

Les aberrations résiduelles, honnêtement annoncées par Voigtländer, se manifestent bel et bien : coma, sphéricité et chromatisme sont présents. En fait on a les caractéristiques d’un objectif à portrait traditionnel. Malgré tout cela, l’Heliar Classic 50/1.5 ne paraît pas souffrir de focus shift.

Cet objectif est compact (long. 42mm, diam. 56mm, filtres 49mm) mais n’en a pas moins un cercle image qualifié de généreux par le fabricant. Voudrait-on encourager son utilisation sur les récents appareils moyens formats numériques ?

Gundlach Ultrastigmat

Charles Clayton Minor chercha lui aussi à amender le triplet. Cet habitant de Chicago est connu pour son Ultrastigmat précurseur des Ernostar et Sonnar. L’Ultrastigmat originel était un f/4,5.

Ultrastigmat (Charles C. Minor)
Ultrastigmat l:255, h:221, 7821, JPEG

Cette optique est citée partout mais la documentation de première main semble enfouie dans le passé. L’enregistrement des brevets et leur exploitation auraient été faits sous l’égide de la firme Gundlach Korona à Rochester. Des modèles très lumineux, ouverts à f/1,9 sortirent en 1916-1920. Il s’agissait de 40, 50 et 75 mm pour cinéma 35 mm. Bref…


Ernostar

…Charles C. Minor ayant ajouté un élément dans l’intervalle avant du Triplet, Ludwig Bertele (1900-1980) décida en 1919 d’utiliser l’idée. On notera au passage qu’il avait 19 ans ! On le retrouvera plus loin, pour l’heure il avait été recruté par Heinrich Ernemann (1850-1928) à Dresde. Le résultat fut l’Ernostar.

L’Ernostar se décline en 4, 5 ou 6 lentilles. Dans sa forme élémentaire, on connaît par exemple :

À cinq lentilles – en quatre ou cinq groupes :

Développé à 6 lentilles en 4 groupes par Bertele, l’Ernostar, équipait l’Ermanox, un appareil photo moyen format doté d’un objectif de 100mm f/2, puis 85 f/1,8, d’un obturateur plan-focal offrant le 1/1000e, apparu en 1924 et qui satisfaisait les rêves les plus fous des reporters.

Source : dioptrique.info [http://dioptrique.info/]
Ernostar 1922, f/2,0, F=100 mm, (champ 30°) l:309, h:228, 4391, PNG
Ermanox 4,5 x 6, 1:2.0/100 mm :
l:347, h:350, 23136, JPEG

L’Ermanox était fabriqué à partir des classiques Klapp ; c’était un appareil à plaques, le plus répandu (ou plutôt : le moins rare) étant au format « miniature » 4,5 x 6 ; pour celui-ci Ernemann (Krupp-Ernemann Kinoapparate AG) proposait un dos optionnel pour roll-film 120. Il a existé aussi en 6,5 x 9, 9 x 12, et même en grand format : 10 x 15, et 13 x 18 ; focales respectives : 125, 165, 195, et encore un 240 mm pesant 6,250 kg. L’illustration infra, aimablement fournie par Bailun [http://cdags.org/daguerreotypes-bailun/] , prouve l’existence du dernier cité.

Ernostar 240mm pour format 13X18
Ernostar 240 l:453, h:377, 23740, JPEG

Dans des formats similaires, on trouve toujours des moyen-formats (bobines type 120 ou 220) de reportage7. Ces appareils souvent robustes et simples peuvent être d’excellentes affaires en occasion. Mais leurs objectifs restent à un prudent f/3,5 (f/2,8 au mieux), car le fort rapport de reproduction comparé au 24x36 rend la profondeur de champ [*] très réduite et la mise au point appelle un soin certain. L’utilisation de l’Ernostar à pleine ouverture devait donc être plutôt aléatoire en reportage d’action8 : l’heure du film 35 mm allait sonner. D’ailleurs en 1926, Ernemann est absorbé par le conglomérat Zeiss Ikon ; en 1931 l’Ermanox est discontinué.

Sonnar

L’inspiration de Bertele

En 1930, Bertele, se retrouvant chez Zeiss, s’attaqua à une formule dérivée de son Ernostar f/1,8, ce qui donna dès 1931 le Sonnar 50mm f/2 (6 él./3 gr.), et l’année suivante une version f/1,5 (7 él./3 gr.). Dans le Sonnar 1:1.5, les groupes arrière et médian comportent chacun 3 éléments collés. Cet objectif très réussi, relativement facile à fabriquer et compact, donne une image douce à pleine ouverture mais nette et contrastée sur tout le champ en diaphragmant. La formule du Sonnar a aussi l’avantage de limiter le nombre des surfaces air-verre, et donc les réflexions parasites. Cet aspect des choses était particulièrement important à une époque où les traîtements antireflets étaient inconnus.

Les Sonnar (et leurs proches) très lumineux ont l’inconvénient de souffrir d’un sensible focus shift [*].

Le Jupiter 3 soviétique, produit en 1948 chez KMZ (Krasnogorski Mekhanicheskii Zavod) est tout simplement la continuation du Sonnar d’avant-guerre, perpétué jusqu’en 1988.

Avant 1936, il y eut un massif Sonnar 85mm f/2, auquel le Jupiter 9 succéda, semble-t-il, jusqu’au début du XXIe siècle ! Ne pas confondre avec le Zeiss ZM 85/2.0 T* (2005-2011) en monture M, fabriqué à l’ouest par Zeiss Oberkochen : la dénomination Sonnar adoptée en mémoire de son illustre aïeul ne doit pas cacher le fait que le ZM est un type Planar.

Sonnar 85/2.0 (1936)
l:180, h:131, 13368, JPEG

A des focales sensiblement plus longues que la normale (angle de champ inférieur à 24°), le Sonnar peut être simplifié. Le groupe central est alors réduit à une ou deux lentilles épaisses, qui suffisent à une bonne correction – sous réserve de ne pas vouloir pousser la luminosité. Voir plus loin, dans la partie sur les longues focales, sous-section « semi-télés ».

Bonheur des photographes

Si, sur le papier, le Sonnar n’atteint pas la perfection, il n’en reste pas moins qu’il ravit encore nombre de photographes. Tant il est vrai que les meilleures performances sur banc de laboratoire ne concordent pas forcément avec l’appréciation subjective du résultat final.

Pour certains, le Sonnar possède toujours une aura qui le rend irremplaçable. La formule fut d’ailleurs reprise par plusieurs fabricants, cf le Canon Serenar 1.5/50 de 1947 signé par Seiki Kogaku – ceci malgré les progrès du Planar.

Serenar (Canon) 1947
l:200, h:126, 3982, JPEG
Carl Zeiss ZM C-Sonnar

La formule a vu une réédition récente (2006) avec le Carl Zeiss C Sonnar T* 1,5/50 mm ZM à monture compatible Leica M, destiné au Zeiss Ikon ZI. Il est étudié particulièrement pour les photographes qui préfèrent un rendu spécial, quitte à accepter quelques inconvénients d’utilisation. Sa formule a la particularité de ne comporter que 6 éléments, la lentille intermédiaire du groupe central est remplacée par un espace d’air. Sur cet objectif on vérifie le focus shift [*] non négligeable propre à la formule. A telle enseigne que le fabricant a pu offrir la possibilité de caler (gratuitement) le bloc optique à la plus grande ouverture, au lieu du calage « usine » positionné à f/2,8.

L’auteur étant un des heureux utilisateurs de cet objectif, on consultera avec profit la page ad hoc [http://www.dg77.net/photo/zm/csonnar50.htm].


MS Optical Sonnetar 50mm f/1.1 MC (2012)

Apparu en septembre 2012, cet objectif figure parmi les specimens présentés au début. Contrairement aux optiques ci-dessous, comme le fameux Zunow, c’est un Sonnar tout simple, composé de 5 lentilles en 4 groupes. Focale : 51,7 mm ; diaphragme sans encliquetage de 14 lamelles ; poids nu : 190g, remarquable. L’aberration de coma [*] est réglable par une bague agissant sur l’élément arrière.

MS Optical Sonnetar 50mm f/1.1 MC l:231, h:245, 56887, JPEG

7artisans Photoelectric 75mm f/1.25 (2019)

C’est avec quelques réserves que je classe cet objectif sous la rubrique Triplets. Mais puisque le prospectus officiel (avec formule optique et courbes FTM) spécifie based on Sonnar formula

l:300, h:236, 7702, JPEG

Cet objectif est l’alternative, en vingt-cinq fois moins cher, au Leica Noctilux-M 75 mm f/1,25 ASPH de 2018. Noter qu’il est livré avec un outil pour ajuster le calage du bloc optique.


Primoplan

Le Primoplan est un triplet modifié de type particulier (5 éléments en 4 groupes) produit dans les années 1930 chez Meyer Görlitz (cf infra le Kino Plasmat). En version ciné 25 mm l’ouverture atteignait f/1,5 ; pour les appareil-photo Exakta on eut un 50 f/1,9 de 1934 (focale repoussée à 58 mm en 1938 pour le rendre utilisable sur les reflex). Cette optique dût son succès à la combinaison d’une grande ouverture avec un prix abordable, plutôt qu’à sa qualité : l’image faiblit sur les bords (raison pour laquelle la version 75 mm, dotée au surplus d’un idyllique bokeh, est singulièrement recherchée).

La production des Primoplan fut poursuivie côté Allemagne de l’Est (DDR ou encore « RDA ») longtemps après la 2de guerre mondiale. Vous pourrez facilement en trouver, et en jouir sur votre boîtier à monture vissante M42 préféré.


Elmarit 90/2.8 1958

Court télé à 5 lentilles en trois groupes, produit de 1958 à 1974. C’était là encore un dérivé de triplet, au schéma proche des Hektors précités. Il était calculé pour la prise de vue générale, l’Elmar trois lentilles de même focale étant destiné à la photo rapprochée (cf supra).

Elmarit 90/2.8 1958
Schéma formule optique Elmarit 90 2.8 l:210, h:197, 17157, JPEG

Tele-Tessar T* 4/85 ZM (2009-2019)

Plus d’un siècle après son apparition, le Tessar constitue toujours une base valable.

Pour épauler le magnifique mais ruineux ZM Sonnar 2/85 pour 24x36 télémétriques de 2006 (rayé du catalogue début 2011), Carl Zeiss a concocté un 85 mm Tele-Tessar moins lumineux (f/4,0) mais plus abordable, quoique pas du type économique simplifié : à Oberkochen, on ne rechigne jamais à empiler des lentilles, et ce Tessar est peaufiné au point de remplacer l’unique élément avant par un doublet (dont la courbure montre que ce n’est ni un Hector ni un Pentac, l’arrière indiquant de son côté qu’on n’est pas en présence d’un Heliar…).

Carl Zeiss Tele Tessar 4/85 ZM
Carl Zeiss Tele-Tessar T* 4/85 ZM l:225, h:145, 9467, JPEG

Extrapolations ultralumineuses (Tronnier, Zunow)

En 1930, Albrecht Wilhelm Tronnier (1902-1982), autre jeune virtuose de la règle à calcul et des tables de logarithmes, décrivit un objectif proche du Sonnar et particulièrement lumineux. Le brevet fut déposé en 1932 par Schneider sous le n. DE 565566 A. [http://depatisnet.dpma.de/]

Il fallut attendre de longues années pour en voir la concrétisation. Ce fut après 1951, quand (outre l’extinction du brevet) la diffusion de verres spéciaux comportant des terres rares9 permit de voir fleurir de remarquables réalisations. Toujours pour le 24x36, on vit un Fujinon de 50 mm ouvert à f/1,2 et un Zunow de type Tronnier 50 mm f/1,1.

Fujinon f/1,2
l:200, h:163, 6920, JPEG
Zunow f/1,1
l:183, h:147, 5666, JPEG

Le Fujinon fut fabriqué en un nombre limité d’exemplaire, sa possession est devenue un rêve quasi inaccessible à la plupart des collectionneurs. Certains lui accordent une qualité très honorable (pour l’époque ?).

Aussi ardemment convoité, le Zunow 1:1.1 était remarquablement compact, ce qui est une des caractéristiques des Sonnar. Selon certaines sources, c’était au départ un objectif à vocation cinématographique. Le modèle destiné aux boîtiers télémétriques de la marque (mais également adaptable, si l’on en croit le prospectus reproduit ci-contre, sur Leica, Canon, Contax et Nikon) connut deux versions : celle de 1953 par Mishisaburo Hamano, (9 lentilles / 5 groupes), et 1955 par Kenji Kunimi et Yoshisato Fujioka (9 / 4). Par la suite, il exista une version un peu moins ambitieuse, ouverte à f/1,3. Il faut dire qu’à la pleine ouverture de f/1,1 le contraste est bas, les ravages de l’aberration de coma [*] sont visibles sur les bords ; et le focus shift [*], typique de ce genre d’objectif, rend un peu plus compliquée la mise-au-point.

Voir des exemples de photos au Zunow sur rangefinder forum.

En 1958, Zunow lança un appareil photo reflex et une gamme d’objectifs, parmi lesquels un 58 mm f/1,2. C’était une belle avance sur Pentax, Canon, Olympus ou Nikon qui peinaient encore pour offrir un objectif standard f/1,4. Ce fut pour Zunow une fatale fuite en avant pour tenter de résister à ses puissants rivaux : la firme disparut peu après.


Astro Berlin (Tachon…)

Voir la notice introductive dans notre page d’exemples remarquables.

Astro-Berlin Tachonar f/1,0 (5 lentilles séparées) : produit en 25, 35, 50 et 75mm, était essentiellement destiné aux rayons X et autres oscilloscopes. Le 75mm couvrait néanmoins le format photo 35mm et a pu être utilisé sur différents boîtiers. Ce schéma est dérivé de l’Ernostar à quatre lentilles (cf supra).

Tachonar 1:1
l:234, h:200, 11969, JPEG

Le Tachon était plus élaboré (7 éléments en 5 groupes). Il y en eut trois types :


Ciné petit format

Outre les modèles relativement simples à 4 lentilles (cf supra Triplets poussés), on trouve en cinéma petit format d’autres formules plus complexes à ouvertures très intéressantes. Quelques modèles pour 8 ou 16 mm :

Kern Macro-Switar

En 1958, le fabricant suisse Kern avait conçu un Photo-Switar de 50mm f/1,8, dérivé complexe (7 lentilles) du triplet ; objectif destiné aux appareils Alpa. Le Macro-Switar-Apochromat était similaire, mais pourvu d’une longue rampe de mise au point, pour la prise de vue rapprochée. Le Macro-Switar f/1,9 de 1970 fut une version améliorée, à 8 lentilles en 5 groupes, très prisée des amateurs.

Macro-Switar 50/1.9
Kern Macro Switar 50/1.9 l:250, h:211, 31022, JPEG

Notes