Leica Elmarit-M 24mm f2.8 ASPH
Sommaire
Présentation
Objet coûteux mais absolument indispensable et tellement bon qu’il rend vraiment ce qu’on y a mis. Cette acquisition n’est pas le fruit du hasard mais d’une longue pratique du grand angle. Ainsi, sur appareil reflex, le Minolta 24mm f:2.8 MD [http://www.dg77.net/photo/x500/md24.htm] fut pour moi une source d’ineffables joies photographiques.
Intérêt du grand-angle
Rappelons ici l’intérêt de ce type d’objectif :
- Aspect utilitaire : le grand angle est nécessaire si on manque de recul (intérieurs, architectures, foules).
- Aspect esthétique : le grand angle permet de mettre un sujet proche en relation ou opposition avec son environnement, ou avec un objet situé dans un autre plan, les deux étant également nets. C’est là où le grand-angle est à son meilleur.
- Outil du reportage d’action : dans une foule en mouvement par exemple, un objectif comme le 24 mm est certainement la meilleure solution pour photographier à la volée.
Bref, il est tellement intéressant et pratique d’avoir un grand-angle que son principal inconvénient est qu’on risque d’en abuser1.
Avantages du 24 mm (champ diagonal à l’infini : 84°)
On ne saurait trop souligner les avantages de la focale de 24 mm en 24x36 (et d’un angle de champ de 84° en général2). C’est un vrai grand-angle, bien plus que le 28 mm : ce dernier (75°) est appréciable en reportage humain (comme un 35 mm amélioré) mais on le trouvera souvent un tantinet étroit quand il s’agit d’éléments architecturaux. Bien sûr, il y a aussi le 21 mm (90°), mais on entre alors dans les focales extrêmes, de maniement délicat et poussant à un style d’images qui sent vite le procédé ; tandis que le 24 mm peut être rangé dans la panoplie de base, d’usage courant et donc investissement plus sûrement rentable.
Mérites de la focale fixe
Comme un grand-angle est appelé à servir sur des sujets architecturaux, il importe que sa distorsion soit minimale. Cette exigence est un puissant argument pour rejeter le zoom grand-angle, certes outil précieux aux reporters de presse (gens peu concernés par la fidélité géométrique), mais moins pour les autres professionnels comme à l’amateur sérieux. Le zoom grand-angle est en effet généralement affligé d’une forte distorsion, qui a le mauvais goût de se manifester toujours davantage du côté de la plus courte focale — justement celle qui va servir en architecture…
Argument subsidiaire : avec un grand angulaire, un pas dans n’importe quelle direction suffit pour modifier l’image (les rapports entre les différents plans changent drastiquement). Dès lors, l’utilité d’un zoom est moins évidente au grand angle qu’avec de longues focales.
Sur l’Elmarit ASPH de 24 mm
Ce 24 fut en 1996 une première pour les classiques Leica M télémétriques, qui ne recevaient que les 21 (1958) ou 28 (1965) mm3. Cet Elmarit suivait de peu les premiers ASPH (35 mm Summicron et Summilux) de 1994, évolution très remarquée en ce qui concerne le niveau atteint par les optiques Leica.
Depuis son apparition, l’offre en montures compatibles M s’est accrue dans la focale 24-25 mm4 :
- outre le Voigtländer Color-Skopar 25/4 (1999) moins ouvert (mais minuscule et au bon rapport qualité/prix)…
- …les ateliers Cosina fournissent pour Carl Zeiss un Biogon T* 2,8/25 ZM performant et moins cher que les Leica (mais aux tolérances de fabrication moins exigeantes ; et un peu long).
- Leica offre depuis 2008 un incroyable 24 mm Summilux ASPH (f/1,4)…
- …auquel se joint un Elmar f/3,8 ASPH relativement abordable et à l’impeccable correction chromatique.
En décembre 2012, l’Elmarit était encore au catalogue Leica, mais seulement jusqu’à épuisement des stocks. Quoi qu’il en soit, je suis satisfait de mon choix : l’Elmarit est d’un côté moins mégalo, meilleur et plus maniable que le Summilux ; de l’autre plus lumineux et donc plus polyvalent que l’Elmar, limité en ouverture (f/3,8, autant dire f/4) et d’encombrement comparable.
Caractéristiques
Focale de 24,4mm, sept éléments en 5 groupes, une surface asphérique obtenue par moulage de haute précision. Une lentille en verre à dispersion partielle anormale, deux autres en verre à haut indice de réfraction. À l’avant on trouve la large lentille propre à la famille des téléobjectifs inversés alias retrofocus. Cet objectif ne comporte aucun groupe flottant.
Angles de champ : 84° (diagonal), 74° (horizontal), 53° (vertical). MAP minimale 70cm, champ à la distance minimale : 630x950mm ; rapport : 1:26. Diaphragme ouvert de 2,8 à 16, cranté par demi-valeur.
Dimensions : 45mm (longueur), 58mm (diamètre). On aurait aimé quelques millimètres de moins.
Poids : 290g (388 en version argent). Filtres : E55 non rotatif.
L’emballage luxueux révèle un splendide étui en cuir souple. Leica nous gratifie aussi de deux bouchons avant : un rectangulaire et un circulaire suivant qu’on utilise ou pas le pare-soleil ajouré, également fourni. Ce dernier, simple assemblage en matière plastique, n’est malheureusement pas à la hauteur du reste : il m’a fallu consolider le mien avec de la colle faute de quoi il se séparait en plusieurs morceaux à chaque manipulation. D’ailleurs, je ne le retire plus : la précieuse lentille frontale est très exposée sur ce type d’objectif et mérite bien un pare-choc. Et honte aux couards qui osent mettre un filtre « de protection » devant semblable merveille !
Performances
Proche de la perfection ?
Cet objectif a une particularité : à pleine ouverture, l’optimum est déjà presque atteint. Fermer (très peu) l’iris n’aura pour effet bénéfique qu’une légère augmentation du contraste dans les coins. En continuant de diaphragmer, des mesures très précises n’indiquent plus aucun changement, seule la diffraction vient dégrader peu à peu l’image — comme le veulent les lois de la physique.
Une référence : l’étude par Erwin Puts [https://web.archive.org/web/20070513003254/http://www.imx.nl/photosite/leica/mseries/testm/M28-24.html] .
Mesures sur banc
Les courbes MTF (ou FTM — fréquence de transfert de modulation) fournies par Leica montrent cet excellent niveau. À f/2,8 et dans un diamètre de 30 mm (la majeure partie de la surface) les courbes de 40 pl/mm approchent ou dépassent 60 % de restitution, ce qui suffit à discerner les contours de très fins détails sur un fond de tonalité voisine (dans un cercle de 10 mm on est proche de 80 % — valeur atteinte par les courbes de 20 pl/mm sur 30 mm de diamètre).
Distorsion
Paramètre important pour un grand angle. L’Elmarit 24 ASPH n’est pas critiquable de ce point de vue — sous-entendu : pour un objectif destiné à la photo générale à main levée ; notre Elmarit n’a pas vocation à concurrencer les optiques dédiées aux travaux de reproduction, ni les outils de photogrammétrie ou cartographie aérienne. Sous le bénéfice de ces observations, on pourra considérer que les -1 % à 10 mm du centre (et -2 % dans les extrêmes coins) de la fiche Leica sont des chiffres très rassurants ; ce jugement est confirmé par les photos de sujets géométriques que je prends régulièrement.
Contre-jours – flare control
L’Elmarit 24 mm ASPH a un taux de flare (partie de la lumière diffusée à l’intérieur de l’optique) très amélioré par rapport aux précédentes générations. Son superbe contraste obtenu dès la pleine ouverture en est un signe. Ci-dessous, on voit que même la présence du soleil dans le champ est incroyablement supportée par cet objectif.
Il reste qu’on a affaire à un grand angle : le pare-soleil ne peut protéger parfaitement la lentille frontale des rayons obliques contre lesquels aucune optique ne saurait être immunisée. Voir l’exemple ci-contre : le ciel uniformément blafard a formé une vaste source de lumière, cause du point chaud qu’on voit en haut de l’immeuble (au dessus de l’arbre).
Divers
- Vignettage
- Je mentionne le vignettage uniquement pour mémoire. Il est tellement peu sensible avec les retrofocus modernes comme cet Elmarit ASPH, que j’ai fini par ne plus me préoccuper de la question — qui fut naguère un vrai problème sur les grands-angulaires.
- Aberration de coma
- Cet objectif semble totalement libre de coma (voir dans les exemples ci-dessous).
- Astigmatisme
- Au vu du graphique FTM ci-dessus, une excellente correction a été obtenue : les courbes tangentielles et sagitales sont non seulement très bonnes mais encore rigoureusement concordantes, ce qui est remarquable. Pas étonnant que cet objectif ait la réputation d’être un rasoir.
- Correction chromatique
- Question importante en photo numérique. L’aberration chromatique (AC) est présente à pleine ouverture, mais à un niveau acceptable par un capteur numérique. À f/5,6 les franges colorées on disparu. Voir un exemple ci-dessous. Entre autres références, cf : http://www.revoirfoto.com/3
- Planéité de champ
- Le profil régulier des courbes FTM donne une indication positive. Au demeurant un 24 mm offre plus de profondeur de champ qu’il n’en faut pour s’inquiéter de la question ; autant dire qu’avec l’Elmarit 24 ASPH, les experts du fameux test du « mur de briques » peuvent se réjouir !
- Bokeh – qualité des flous
- Bon ! (voir exemple ci-dessous).
- Qualité à courte distance
- Pas de faiblesse constatée à ce jour, malgré l’absence de groupe flottant dans la formule optique.
Des images visiblement meilleures
J’ai longtemps été fort heureux de mon Minolta 24mm f:2.8 MD [http://www.dg77.net/photo/x500/md24.htm]. Celui-ci est excellent vers f/8. Mais la différence avec le présent Elmarit m’est apparue un jour en visionnant des diapos anciennes dont je savais qu’elles avaient été prises à pleine ouverture (f/2,8). Habitué désormais à l’éclat des images fournies par le Leica ASPH, j’ai été obligé de constater que les clichés pris au Minolta grand ouvert avaient quelque-chose de plat, un aspect un peu terne.
Sur le terrain
Cas d’utilisation
- Dans une configuration à deux objectifs, j’emporte toujours le 24 mm, à une exception près : dans les circonstances du type « sociétal » (le sujet va consister en la rencontre de plus d’une personne), c’est le 35 mm qui est préféré.
- Comme unique objectif : un grand-angle peut être un choix logique
s’il s’agit d’explorer l’environnement urbain.
- Il permet de bien rendre compte de l’organisation de l’espace ;
- accessoirement, il rend possible une certaine approche de la « photo de rue », basée sur le déclenchement instinctif et à très courte distance (la mise au point est alors préréglée et le diaphragme un peu fermé).
- Bien sûr, le 24 mm est efficace en intérieur ; par exemple pour une visite de musée, où il faut parfois se cramponner au 1/8e sans flash. Une focale courte est très préférable pour ce genre d’exercice.
Utilisation avec un boîtier à viseur 0.58x
Cadre de visée
Aucun cadre pour 24mm n’est prévu dans le viseur des Leica M7, MP et modèles antérieurs5. Le montage de cet objectif provoque l’affichage du cadre de visée 35mm pour les Leica M4 et suivants (ainsi que du 135mm pour les viseurs de grossissement supérieur au 0.58x). Ceci peut être perturbant en prise-de-vue, surtout en cas de changements fréquents d’objectif : on peut par distraction utiliser le cadre du 35mm pour photographier au 24.
Le viseur 0.58x couvre le champ du 21mm (à condition de ne pas porter de lunettes). Une solution est d’afficher le cadre pour 28mm en enfonçant à fond le levier sur la face avant du boïtier. Le champ de l’objectif de 24 mm se trouve alors légèrement à l’extérieur du rectangle qui s’affiche.
Viseur externe
L’objectif masque une portion non négligeable du champ. L’utilisation d’un viseur externe pourra être utile si la partie occultée a une importance spéciale dans la composition de l’image. Mais on s’aperçoit à l’usage que le viseur externe n’est pas un organe vital avec le viseur 0.58x.
Pour limiter les frais, on utilisera sans vergogne un viseur Voigtländer pour 25 mm (attention : le modèle pour 24x36, pas celui pour l’Epson RD-1 au capteur APS-C 16x24).
Exemples
Ci-dessous, quelques images faites avec un Elmarit-M 24mm ASPH.
Photographie faite la nuit sans flash. Les nombreux spots et sources lumineuses ne polluent ni n’affadissent l’image finale. Le film utilisé (négatif 800 ISO) manque de latitude de pose et est très granuleux, à quoi s’ajoute un temps de pose excessivement long et malgré tout au bord de la sous-exposition : tout cela n’empêche pas une finesse de détail respectable.
« Photo de rue » au grand angle. Fin 2007, il y eut en France une coupe du monde de rugby ; les travaux de la Tour Oxygène commençaient à Lyon. Déclenchement instinctif tout en marchant à grands pas.
Image d’ambiance, favorisée par la proximité des sujets.
Reportage. S’infiltrer avec un objectif grand angle est la méthode recommandée quand il y a foule.
Une image qui illustre les capacités de déclenchement à « basse vitesse » d’un grand angle. Film négatif couleur Portra 400, 1/12s.-f/2,8.
Un autre exemple où on voit l’objectif grand angle comme moyen de restituer une ambiance ; film inversible Fuji Velvia 50 ISO, Elmarit ASPH de 24 mm à f/2.8. Le visionnage sur écran ne saurait atteindre ce que donne l’examen à la loupe de la diapositive.
« Crop » de la précédente :
2006, le nouveau tramway lyonnais « Lea ». Comme il est dit par ailleurs (cf la page sur le 24mm Minolta [http://www.dg77.net/photo/x500/md24.htm], et celle sur la photo au super-grand-angle [http://www.dg77.net/photo/tamron/tamron17.htm]), une vue d’ensemble doit souvent composer avec un avant-plan un peu trop vaste et de peu d’intérêt. Les lignes convergentes accompagnant le regard sont un moyen d’utiliser cette partie de l’image.
L’Elmarit 24 ASPH a été le contributeur majeur de la série Tour Oxygêne à Lyon et de son chantier.
Utilisation du viseur annexe pour s’assurer d’un parallélisme correct. Le but me semble avoir été atteint : pas de convergence notable sur les lignes verticales (les lignes horizontales convergent normalement puisqu’on a visé en se tournant un peu à gauche : il s’agit d’anamorphose, rien à voir avec la distorsion). Pellicule inversible Fuji 100 ISO, f/4 1/125.
En revanche, l’aberration chromatique latérale est visible (du moins sur les bords) : en agrandissant, une frange pourpre apparaît à la limite du ciel et du bâtiment à contre-jour.
Multiplier par 8,2 la largeur du « crop » pour avoir les dimensions approximatives de l’image entière auquel il correspond. Si la mesure est de 12 cm sur votre écran, cela correspond à une jolie affiche d’environ un mètre de large pour 1m50 de haut : frères photographes, les facilités de l’informatisation généralisée nous rendent de plus en plus tatillons !
La gare de Metz6. Le genre de sujet pour lequel il ne faut surtout pas oublier son grand-angle et du film fin (pellicule diapo Velvia 50). Les détails (« crops ») correspondent à un huitième de l’image de départ.
Le bokeh n’est certes pas la première chose dont on se préoccupe pour choisir un grand-angle. Mais même dans ce domaine, l’Elmarit 24 ASPH donne satisfaction : les zones floues sont bien fondues au lieu de figurer sous forme de hachis de lignes. La présente photo est évidemment faite à f/2,8 ; elle permet aussi de vérifier que l’Elmarit ASPH de 24 mm reste efficace à courte distance : voir le rendu des textures (textile, bracelet en cuir…).
Notes
- 1. Un des principaux abus du grand-angle se manifeste dans ces images aux perspectives exagérées et soi-disant « dynamiques ». Une autre erreur funeste est la croyance que le grand-angle est l’idéal pour faire des paysages : c’est en vérité la cause majeure de l’implacable ennui et de la consternante banalité qui se dégagent des vues panoramiques produites par milliers dans le monde à chaque minute.
- 2. Focales équivalentes (approximatives) en fonction du format pour un angle diagonal de 84° à l’infini :
- 1/2.3" : 4,6 mm - 1/1.7" : 5,7 mm - MFT : 12 mm - APS-C : 15-16 mm selon capteur - Leica M-8 : 18 mm - 35mm (24x36) : 24 mm - 120 4,5x6 : 39 mm - 120 6x6 : 44 mm - 120 6x7 : 50 mm - 4"x5" : 90 mm
- 3. Pour les appareils à monture vissante antérieurs, Leitz produisit à partir de 1935 l’Hektor 28 mm f/6,3 (5 éléments/3 groupes), remplacé en 1955 par le Summaron f/5,6 (6/4), disponible jusqu’en 1963.
- 4. Ne pas confondre ces objectifs (conçus pour couvrir le 24x36 mm) avec les optiques de même focale mais destinées à un format inférieur. Par exemple celle du compact Leica X1 apparu en 2010 ; le Zeiss Sonnar 24/1,8 pour les Sony Nex (2011) ; ou encore le Fuji X 23/1.4. Ces objectifs pour capteur APS-C ont un angle de champ qui correspond à une focale de 36 mm en 24x36.
- 5. Pas de cadre 24 mm non plus dans le viseur du M9. Pour ce qui est du M8, le viseur dans son entier correspond au champ de 24 mm.
- 6. La gare de Metz est l’œuvre de Jürgen Kröger (Haale 1856, Aukrug 1928). Edifiée de 1905 à 1908, sous la direction de la Kaiserliche Generaldirektion der Eisenbahnen in Elsaß-Lothringen, puisqu’avant 1918, la région appartenait à l’empire allemand. La main de Schirmer se reconnait sur de nombreuses sculptures.