Linhof Master Technika 4x5
Sommaire
Pourquoi une chambre grand-format ?
Fondamentaux de la prise de vue
- Postulat
- Il n’existe pas d’appareil photo universel.
- Axiome
- Chaque fois que tu pourras, sur trépied travailleras.
- Corollaire
- Si on photographie sur trépied, autant utiliser le plus grand format.
Intérêt
- Pas de double-emploi
- L’utilisation d’une chambre grand-format s’écarte radicalement de celle des formats inférieurs. On ne risque pas (par exemple) une concurrence entre beau reflex 24x36 (alias FF) et luxueux Moyen-Format automatisé.
- Exploitation facile
-
- Un plan-film noir et blanc se développe dans une cuvette en plastique1.
- La banalisation de bons scanners permettant de traîter des documents transparents surmultiplie l’intérêt de produire des plans-films. Auparavant il était nécessaire de disposer d’un agrandisseur adéquat.
- L’agrandisseur est d’ailleurs facultatif. Avec une simple tireuse-contact on peut produire des épreuves haut-de-gamme, exposables ensuite dans les galeries les plus chic. Vous resterez confondu par l’aspect d’un tirage contact 4"x5" (je ne parle même pas du 8"x10") obtenu en quelques minutes avec un matériel rudimentaire2.
- Simplicité / fiabilité
-
- La prise-de-vue à la chambre n’est pas si laborieuse qu’on peut le penser. Le cycle de déclenchement se ramène à un enchaînement très vite assimilé.
- La maintenance d’une chambre peut se faire avec quelques tournevis et autres outils simples ; le plus problématique se limite généralement au gommage des pales de l’obturateur3.
- Souplesse
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- A l’avant, l’objectif est fixé sur une simple planchette : cela permet d’aller loin dans le choix et l’utilisation des optiques.
- A l’arrière : on peut glisser un chassis à plan-film, ou différentes variétés de dos : porte-bobine 120 (pour photographier en 4,5x6cm, ou 6x6, 6x9, 6x12…), polaroid, dos à capteurs numériques…
- Géométrie variable
- Les corps avant et arrière peuvent être basculés, abaissés, relevés. Ceci ouvre des possibilités de contrôle de la netteté et de la géométrie de l’image inaccessibles avec les boîtiers rigides. Aucun professionnel de la publicité ne saurait se passer de chambre pour le catalogue de ses clients les plus exigeants.
- Haute qualité d’image
- Faut-il insister ? Le grand format permet évidemment une définition et un modelé impossibles à atteindre avec le matériel courant.
Aspects économiques
- On trouve facilement des chambres d’occasion en état de marche.
- Optiques : les objectifs normaux pour grand-format les plus récents sont vendus à des tarifs plutôt abordables quand on les compare aux gammes moyen-format. Convenablement utilisé, un objectif grand-format très ancien monté sur une chambre d’avant-guerre permettra des agrandissements impossibles avec les plus ruineux appareils moyen ou petit-format.
- Le coût des plans-films peut paraître prohibitif comparé au film 35 mm. Mais à la chambre, on déclenche tellement peu et seulement à coup sûr ! On peut être satisfait avec deux vues réalisées dans la séance.
Un vraie démarche photographique
- Une école
- A la chambre, on ne déclenche pas à tout-va, on réfléchit et on décide. C’est au point que certains se mettent à avoir des idées sur les images qu’ils veulent faire…
- Rappelons que sur le dépoli l’image est vue à l’envers, ce qui aide à s’abstraire du sujet pour mieux composer l’image.
- Loupe 4X et vision du monde
- Voir et explorer l’univers sur le dépoli est une expérience qui vaut la peine. Et de retour chez soi, penché sur la table lumineuse, contempler le plan-film est un bonheur en soi.
- Succès assuré
- A la montagne ou à la mer, dans un village du Morvan ou sur le parvis de La Défense (business center, Paris, France) vous ne passerez pas inaperçu ; mais l’attitude des indigènes sera toujours dans le bon sens : vous n’aurez pas besoin d’aller chercher les sujets, ils viendront à vous. La chambre fait partie de ces appareils photo avec lesquels on ne vise pas les gens comme avec un bazooka.
Principaux formats
- 8"x10" (20x25 cm).
- 5"x7" (13x18 cm).
- 4"x5" (10,2x12,7 cm).
- Chambres 6x9cm moyen-format, utilisant un dos pour roll-film 120 ou 220.
- Il existe à présent des dos à capteur numériques. Exemple : le Phase One 53,9x40,4mm. Des chambres spécifiques ont été conçues pour ces dos, mais ils peuvent aussi s’installer à l’arrière des grands-formats classique.
Les divers types de chambres
On distingue :
- La chambre pliante (ou folding) dite encore field camera. La dénomination anglaise (appareil photo de terrain) indique son aptitude à être utilisée en extérieur. Ses mouvements sont généralement limités (le décentrement vers le bas ou les bascules arrières ne sont pas toujours prévus).
- La chambre monorail (view camera), parfaite en studio, plutôt délicate à emporter sur l’épaule. Avantages : mouvements précis et dans tous les axes, modularité très poussée par certains fabricants.
La Linhof Master Technika
Depuis 1887, la firme munichoise Linhof est connue pour ses appareils professionnels : chambres monorail de studio ou folding (pliantes), appareils panoramiques, moyen-format de reportage ou de photographie aérienne, etc. Les Master Technika métalliques sont l’alternative luxueuse et indestructible aux chambres (certes plus légères) en acajou, cerisier, matériaux composites ou autres, proposées par la concurrence. Par rapport à la plupart de celles-là, la Master Technika offre notamment la bascule arrière dans tous les axes (ce qui permet de compenser l’absence de décentrement arrière), et le décentrement avant dans toutes les directions. Son dos rotatif augmente le poids et les dimensions (c’est une chambre 5"x5" et non pas 4"x5"), mais il évite d’avoir à basculer l’appareil entier pour un cadrage horizontal.
Les Linhof folding existent ou ont existé en versions 5"x7", 4"x5" pour plan-film ; et 6x9 pour roll-film moyen format. Il a existé aussi une Super Technika ; la Master Technika offre l’avantage du volet supérieur qui facilite le décentrement avec une courte focale. Début 2014, Linhof produit toujours la Master Technika Classic et la Master Technika 3000, conçue pour faciliter la prise de vue aux grand-angle extrêmes (focales utilisables : 47mm sur 4"x5", et 35 en 6x12cm !). Quoique dépourvue du viseur télémètre, je vous conseille chaudement cette dernière… si votre portefeuille le permet.
- Chambre grand-format folding (pliante) 4x5 inches (10,2x12,7cm) tout métal.
- L’abattant offre l’avantage :
- non seulement de se refermer avec l’objectif normal (pour moi un Schneider Symmar 150mm f:5.6, ce qui correspond à une focale d’environ 40mm en 24x36),
- …mais encore de disposer d’une double coulisse autorisant de très longs tirages.
- Il peut de plus être abaissé pour les décentrements vers le bas.
- Dos rotatif très pratique pour changer le cadrage (horizontal/vertical).
- Au sujet des mouvements : à l’avant, on dispose du décentrements direct vers le haut et les côtés, et de la bascule dans les axes horizontal/vertical ; à l’arrière : bascule seulement. En très courte focale, le décentrement est souvent malaisé, voire impossible pour le décentrement horizontal. Mais en combinant les bascules, on se tire généralement d’affaire. En outre l’abattant peut être abaissé.
- Télémètre incorporé couplé à une came interchangeable suivant l’objectif. A cette fin, une superbe poignée avec flexible de déclenchement peut être fixée sur le côté, autorisant ainsi la prise de vue à main levée en mode « reportage ». Le magnifique viseur multiformat qu’on adapte au-dessus ne contribue pas peu au charme irrésistible de la Master Technika.
Objectifs de base
Mes deux objectifs n’étaient plus du dernier cri mais suffirent à faire quelques belles images.
Schneider Symmar 150 mm f/5,6
Angle de champ de 65° qui passe à 70° en fermant le diaphragme à f/16, le cercle image atteignant alors 210 mm de diamètre. Rappelons que la diagonale du format 4"x5" (10,2x12,7 cm) est de 156 mm. L’angle sur la diagonale de l’image 4"x5" est de 53°. Un 150 sur 4x5 équivaut donc peu ou prou à une focale de 40 mm en 24x36. De 53 à 70 degrés, il reste de la marge pour les décentrements !
La structure (six éléments en quatre groupes) descend directement des double-Plasmat de jadis [http://www.dg77.net/photo/tech/fastplas.htm#dagor]. Comme tous les cousins du Dagor, ce Symmar est dédoublable : en dévissant le bloc avant, on obtient un 265 mm ouvert à f/12 (à peu près un 70 mm en 24x36), parfait pour le portrait.
Schneider Super Angulon 90 mm f/8,0
Il ressemble beaucoup au classique Biogon. Mais pour ce soir nous préférons ne pas nous lancer dans une discussion Super Angulon = Biogon ?…
A f/16, cercle image de 216 mm pour un angle de champ de 100°. Sur un format 9x12 cm, cela permet des décentrements de 50 mm (sens de la largeur) et 43 mm (en longueur). Toujours en partant de la diagonale du format, les 9/15e de 42 mm, cela donne en « équivalent 24x36 » une focale de 25 mm.
Pratique de la chambre grand format
Chargement du film
On utilise en principe les classiques chassis Fidelity. On les charge et décharge très rapidement avec le simple manchon de chargement en tissu que tout photographe possède. La manœuvre peut être faite en tout lieu. Un chassis contient deux plans films, qu’on glisse en soulevant un volet articulé situé à la base. Chacune des faces est occultée par un volet coulissant qui abrite de la lumière le plan-film (et qui, refermé à fond, empêche le volet articulé de s’ouvrir). La poignée du volet (en haut) comporte des canelures pour, au moment du chargement, identifier au toucher le côté utilisé. Elle a une face blanche et l’autre noire. On utilise cette différence pour distinguer les plans films exposés de ceux qui ne le sont pas.
Les encoches sur la bordures inférieure montrent qu’il s’agit d’une pellicule Kodak T-Max 400. Leur position en bas à droite indique que l’émulsion se trouve de l’autre côté (notion indispensable pour le chargement des chassis).
Procédure
Le cadrage et la mise au point étant faits, et la mesure de la lumière effectuée :
- Fermer le diaphragme à l’ouverture choisie.
- Fermer l’obturateur.
- Indexer le temps de pose choisie.
- Insérer le chassis en vérifiant qu’on voit le repère blanc (le plan film n’est pas encore exposé).
- Retirer le volet de protection.
- Armer l’obturateur.
- Déclencher.
- Remettre le volet de protection (repère noir apparent).
- Retirer le chassis.
Premiers exercices
Un des atouts de la chambre est la possibilité de développement séparé de chaque vue. Méthode simple en noir et blanc : doubler chaque photo – exposer les deux plans-films d’un même chassis. Après développement d’un des deux, on peut développer l’autre avec éventuellement des corrections (réduction/prolongation du temps de développement, dilution ou température modifiée, etc.). Conseil : à la prise-de-vue en négatif couleur ou N&B, il peut être judicieux de risquer un peu de surexposition plutôt que le contraire.
Photo au Symmar 150 mm f/5,6
A main levée
Travail à main levée avec la superbe poignée-déclencheur.
A une distance relativement courte, le point devient très critique, d’autant plus que le grand-format ne pardonne guère5 …et qu’on en attend beaucoup. Cette seconde image d’une série de trois est correcte, alors que je me suis trouvé fort marri par la précédente, pas si nette que j’espérais au niveau des yeux.
Sur trépied
Le paysage est le royaume de la chambre photographique.
Portrait en intérieur, lumière du jour.
Vignes aux alentours de Grignan (Drôme).
Portion environ 18x24 d’un tirage 30x40cm. Lyon, vue des bords de Saône depuis le quai Tilsitt : la place du Port Neuf (quartier Saint-Georges) et un des étonnants immeubles du quai Fulchiron.
Vallée d’Abondance (Haute-Savoie). Ancienne abbaye de Saint-Jean-d’Aulps.
Nature morte à base de Mir Vaisselle. Quand même quelque-chose de vivant. A noter :
- Le triple tirage de la Linhof a été mis à contribution.
- Utilisation du dos Polaroid 505. Le plan film est en fait de la Fuji 100 (Les brevets Polaroid sont tombés dans le domaine public depuis un certain temps).
Exposition Jakobsen à Saint-Priest (Rhône), 1992. Utilisation du dos Polaroid.
Sculpture de Henrik Plenge Jakobsen. Ici, traîtement “Cross Processing” : le plan-film diapo Ekta (traîtement E6) a été plongé dans un révélateur pour négatif couleur (traîtement C41).
Encore du cross processing. Eclairage par un flash de studio et parapluie réfléchissant.
Photo au Super Angulon 90 mm f/8,0
En application de la règle de Scheimpflug, la bascule horizontale (i.e. dans l’axe horizontal) permet d’avoir la netteté du premier plan jusqu’à l’horizon. Principe : le plan objet, le plan image et le plan de l’optique doivent se rejoindre au même lieu. Quand les trois plans sont parallèles, ce n’est que le cas particulier où ils se rejoignent à l’infini.. Remarques :
- La profondeur de champ augmentant très vite avec l’éloignement, les objets élevés (au dessus du plan objet) mais distants sont nets (cf la façade).
- Comme le plan-film (plan image) reste vertical, les lignes également verticales du monument ne convergent pas.
- Ce mouvement est possible parce que l’objectif a un cercle de couverture sensiblement supérieur à la diagonale du format de film (approximativement : plus de 20 cm pour l’objectif contre 15 pour le plan-film).
Application de la règle de Scheimpflug : chateau de Grignan (Drôme).
La liberté donnée par les mouvements du soufflet articulé font de la chambre la reine des photos d’architecture.
Ci-dessous le Super Angulon est à l’œuvre sur une des « grandes barres » (comme disent les Lyonnais) du Cours Lafayette, quartier de la Part Dieu. Avant les odieux travaux qui en ont obturé les bases. La seconde se voit à l’arrière-plan.
Il s’agit des Immeubles Moncey-Nord, œuvre de Marcel Gut, Jean Sillan et Jean Zumbrunnen (1965).
Toujours au Super Angulon : Viaduc de Nantua – alias viaduc des Neyrolles (Ain, entre Lyon et Genève). Auteur : Maurice Novarina (1985). Objectif : encore le 90mm Super Angulon (Equivalent environ 24mm en 24x36).
Photo au 150 avec dos 6x7
Utilisation du dos 6x7 (56x72mm) et d’ektachrome 100 ISO en format 120. L’angle de champ équivalaut approximativement à un 90 mm en 24x36 mm.
Ces deux photos obtenues par scan d’un tirage Cibachrome 20 x 25.
A main levée. Belle fin de journée le long de la Saône à Lyon.
Lyon à l’aube, depuis l’esplanade de Fourvière. Dans certaines conditions météorologiques, la chaîne du Mont-Blanc peut être aperçue au dessus de l’horizon. Ici, la Linhof est posée sur la ballustrade. J’avoue n’avoir pas pu identifier l’oiseau qui survole la rue Saint-Jean.
Notes
- 1.
Prévoir :
- Un panneau d’aggloméré posé sur le lavabo.
- Une bâche plastique noire (quelques euros) pour rendre la porte de la salle de bain étanche à la lumière.
- Quatre cuvettes (révélateur, bain d’arrêt, fixateur, lavage).
- Un thermomètre.
- Une minuterie.
- 2. Le tirage contact pourra se faire dans les mêmes conditions que le développement des plans-films, comme indiqué précédemment.
- 3. Détecter et obturer les fuites de lumière d’un vieux soufflet ne devrait poser aucun problème à un bricoleur même très moyen.
- 4. René Hippolyte Beclu, né le 3 février 1881 à Paris, est Mort pour la France (« tué à l'ennemi ») le 17 janvier 1915 à Riaville (Meuse). Sur le dernier point, voir le document accessible sur le site Mémoire des hommes, du ministère de la Défense.
- 5. Le télémètre de la Linhof a certes une base énorme comparé à celle d’un Leica M, mais le rapport de reproduction sur le plan-film donne une profondeur de champ particulièrement restreinte.