D.A.F. de Sade (1740-1814) Français, encore un effort… (suite)
Une si longue habitude du despotisme avait totalement énervé notre courage ; il avait dépravé nos mœurs : nous renaissons ; on va bientôt voir de quelles actions sublimes est capable le génie, le caractère français, quand il est libre ; soutenons, au prix de nos fortunes et de nos vies, cette liberté qui nous coûte déjà tant de victimes ; n’en regrettons aucune si nous parvenons au but ; elles-mêmes se sont toutes dévouées volontairement ; ne rendons pas leur sang inutile ; mais de l’union… de l’union, ou nous perdrons le fruit de toutes nos peines ; asseyons d’excellentes lois sur les victoires que nous venons de remporter ; nos premiers législateurs, encore esclaves du despote qu’enfin nous avons abattu, ne nous avaient donné que des lois dignes de ce tyran, qu’ils encensaient encore : refaisons leur ouvrage, songeons que c’est pour des républicains et pour des philosophes que nous allons enfin travailler ; que nos lois soient douces comme le peuple qu’elles doivent régir.
En offrant ici, comme je viens de le faire, le néant, l’indifférence d’une infinité d’actions que nos ancêtres, séduits par une fausse religion, regardaient comme criminelles, je réduis notre travail à bien peu de chose. Faisons peu de lois, mais qu’elles soient bonnes. Il ne s’agit pas de multiplier les freins : il n’est question que de donner à celui qu’on emploie une qualité indestructible. Que les lois que nous promulguons n’aient pour but que la tranquillité du citoyen, son bonheur et l’éclat de la république. Mais, après avoir chassé l’ennemi de vos terres, Français, je ne voudrais pas que l’ardeur de propager vos principes vous entraînât plus loin ; ce n’est qu’avec le fer et le feu que vous pourrez les porter au bout de l’univers. Avant que d’accomplir ces résolutions, rappelez-vous le malheureux succès des Croisades. Quand l’ennemi sera de l’autre côté du Rhin, croyez-moi, gardez vos frontières et restez chez vous ; ranimez votre commerce, redonnez de l’énergie et des débouchés à vos manufactures ; faites refleurir vos arts, encouragez l’agriculture, si nécessaire dans un gouvernement tel que le vôtre et dont l’esprit doit être de pouvoir fournir à tout le monde sans avoir besoin de personne ; laissez les trônes de l’Europe s’écrouler d’eux-mêmes : votre exemple, votre prospérité les culbuteront bientôt, sans que vous ayez besoin de vous en mêler.