D.A.F. de Sade (1740-1814) La Philosophie dans le Boudoir (suite - Troisieme dialogue)
Troisieme dialogue
Eu, très surprise de voir dans ce cabinet un homme qu’elle n’attendait pas : Oh ! Dieu ! Ma chère amie, c’est une trahison!
S-A, également surprise : Par quel hasard ici, monsieur ? Vous ne deviez, ce me semble, arriver qu’à quatre heures ?
D : On devance toujours le plus qu’on peut le bonheur de vous voir, madame ; j’ai rencontré monsieur votre frère ; il a senti le besoin dont serait ma présence aux leçons que vous devez donner à mademoiselle ; il savait que ce serait ici le lycée où se ferait le cours ; il m’y a secrètement introduit, n’imaginant pas que vous le désaprouvassiez, et pour lui, comme il sait que ses démonstrations ne seront nécessaires qu’après les dissertations théoriques, il ne paraîtra que tantôt.
S-A : En vérité, Dolmancé, voilà un tour…
Eu : Dont je ne suis pas la dupe, ma bonne amie ; tout cela est ton ouvrage… Au moins fallait-il me consulter… Me voilà d’une honte à présent qui, certainement, s’opposera à tous nos projets.
S-A : Je te proteste, Eugénie, que l’idée de cette surprise n’appartient qu’à mon frère ; mais qu’elle ne t’effraie pas : Dolmancé, que je connais pour un homme fort aimable, et précisément du degré de philosophie qu’il nous faut pour ton instruction, ne peut qu’être très utile à nos projets ; à l’égard de sa discrétion, je te réponds de lui comme de moi. Familiarise-toi donc, ma chère, avec l’homme du monde le plus en état de te former, et de te conduire dans la carrière du bonheur et des plaisirs que nous voulons parcourir ensemble.
Eu, rougissant : Oh ! Je n’en suis pas moins d’une confusion…
D : Allons, belle Eugénie, mettez-vous à votre aise… la pudeur est une vieille vertu dont vous devez, avec autant de charmes, savoir vous passer à merveille.
Eu : Mais la décence…
D : Autre usage gothique, dont on fait bien peu cas aujourd’hui. Il contrarie si fort la nature ! (Dolmancé saisit Eugénie, la presse entre ses bras et la baise.)
Eu, se défendant : Finissez donc, monsieur!… En vérité, vous me ménagez bien peu!
S-A : Eugénie, crois-moi, cessons l’une et l’autre d’être prudes avec cet homme charmant ; je ne le connais pas plus que toi : regarde comme je me livre à lui ! (Elle le baise lubriquement sur la bouche.) Imite-moi.