D.A.F. de Sade (1740-1814) Français, encore un effort… (suite)
L’espèce humaine doit être épurée dès le berceau ; c’est ce que vous prévoyez ne pouvoir jamais être utile à la société qu’il faut retrancher de son sein ; voilà les seuls moyens raisonnables d’amoindrir une population dont la trop grande étendue est, ainsi que nous venons de le prouver, le plus dangereux des abus.
Il est temps de se résumer.
Le meurtre doit-il être réprimé par le meurtre ? Non, sans doute. N’imposons jamais au meurtrier d’autre peine que celle qu’il peut encourir par la vengeance des amis ou de la famille de celui qu’il a tué. Je vous accorde votre grâce, disait Louis XV à Charolais, qui venait de tuer un homme pour se divertir, mais je la donne aussi à celui qui vous tuera. Toutes les bases de la loi contre les meurtriers se trouvent dans ce mot sublime.
En un mot, le meurtre est une horreur, mais une horreur souvent nécessaire, jamais criminelle, essentielle à tolérer dans un Etat républicain. J’ai fait voir que l’univers entier en avait donné l’exemple ; mais faut-il le considérer comme une action faite pour être punie de mort ? Ceux qui répondront au dilemme suivant auront satisfait à la question : Le meurtre est-il un crime ou ne l’est-il pas ? S’il n’en est pas un, pourquoi faire des lois qui le punissent ? Et s’il en est un, par quelle barbare et stupide inconséquence le punirez-vous par un crime semblable ?
Il nous reste à parler des devoirs de l’homme envers lui-même. Comme le philosophe n’adopte ces devoirs qu’autant qu’ils tendent à son plaisir ou à sa conservation, il est fort inutile de lui en recommander la pratique, plus inutile encore de lui imposer des peines s’il y manque.
Le seul délit que l’homme puisse commettre en ce genre est le suicide. Je ne m’amuserai point ici à prouver l’imbécillité des gens qui érigent cette action en crime : je renvoie à la fameuse lettre de Rousseau ceux qui pourraient avoir encore quelques doutes sur cela. Presque tous les anciens gouvernements autorisaient le suicide par la politique et par la religion. Les Athéniens exposaient à l’Aréopage les raisons qu’ils avaient de se tuer : ils se poignardaient ensuite. Toutes les républiques de la Grèce tolérèrent le suicide ; il entrait dans le plan des législateurs ; on se tuait en public, et l’on faisait de sa mort un spectacle d’apparat. La république de Rome encouragea le suicide : les dévouements si célèbres pour la patrie n’étaient que des suicides. Quand Rome fut prise par les Gaulois, les plus illustres sénateurs se dévouèrent à la mort ; en reprenant ce même esprit, nous adoptons les mêmes vertus. Un soldat s’est tué, pendant la campagne de 92, de chagrin de ne pouvoir suivre ses camarades à l’affaire de Jemmapes. Incessamment placés à la hauteur de ces fiers républicains, nous surpasserons bientôt leurs vertus : c’est le gouvernement qui fait l’homme.