D.A.F. de Sade (1740-1814) La Philosophie dans le Boudoir (suite - Second dialogue)
Deuxième dialogue
S-A : Eh ! Bonjour, ma belle ; je t’attendais avec une impatience que tu devines bien aisément, si tu lis dans mon cœur.
Eu : Oh ! Ma toute bonne, j’ai cru que je n’arriverais jamais, tant j’avais d’empressement d’être dans tes bras ; une heure avant de partir, j’ai frémi que tout changeât ; ma mère s’opposait absolument à cette délicieuse partie ; elle prétendait qu’il n’était pas convenable qu’une jeune fille de mon âge allât seule ; mais mon père l’avait si mal traitée avant-hier qu’un seul de ses regards a fait rentrer Mme de Mistival dans le néant ; elle a fini par consentir à ce qu’accordait mon père, et je suis accourue. On me donne deux jours ; il faut absolument que ta voiture et l’une de tes femmes me ramènent après-demain.
S-A : Que cet intervalle est court, mon cher ange ! à peine pourrai-je, en si peu de temps, t’exprimer tout ce que tu m’inspires… et d’ailleurs nous avons à causer ; ne sais-tu pas que c’est dans cette entrevue que je dois t’initier dans les plus secrets mystères de Vénus ? Aurons-nous le temps en deux jours ?
Eu : Ah ! Si je ne savais pas tout, je resterais… je suis venue ici pour m’instruire et je ne m’en irai pas que je ne sois savante.
S-A, la baisant : Oh ! Cher amour, que de choses nous allons faire et dire réciproquement ! Mais, à propos, veux-tu déjeuner, ma reine ? Il serait possible que la leçon fût longue.
Eu : Je n’ai, chère amie, d’autre besoin que celui de t’entendre ; nous avons déjeuné à une lieue d’ici ; j’attendrais maintenant jusqu’à huit heures du soir sans éprouver le moindre besoin.
S-A : Passons donc dans mon boudoir, nous y serons plus à l’aise ; j’ai déjà prévenu mes gens ; sois assurée qu’on ne s’avisera pas de nous interrompre. (Elles y passent dans les bras l’une de l’autre.)