Le web de Dominique Guebey – Les belles lettres

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   D o m i n i q u e   G u e b e y    J u n g l e      Les belles lettres

Fernando Pessoa, Le livre de l’intranquillité

Ed. Christian Bourgeois, traduction Françoise Laye

N° 21 (69 dans édition portugaise)

…Il est des figures des temps passés, des images-esprits contenues dans les livres, qui sont pour nous plus réelles que ces indifférences incarnées qui nous parlent par-dessus le comptoir, ou nous regardent par hasard dans le tram, ou qui nous frôlent en passant, au hasard mort des rues. Ces autres-là ne sont pour nous que paysage, et presque toujours invisible paysage, comme une rue trop bien connue.

Je considère comme m’appartenant davantage, comme plus proches par la parenté et l’intimité, certains personnages décrits dans les livres, certaines images que j’ai connues sous forme de gravures, que bien des personnes que l’on dit réelles, et qui relèvent de cette inutilité métaphysique que l’on appelle de chair et d’os.

N° 26 (120 dans édition portugaise)

Je ne suis guère ému d’entendre dire qu’un homme, que je tiens pour un fou ou pour un sot, surpasse un homme ordinaire en de nombreuses occasions ou affaires de l’existence. Les épileptiques, en pleine crise, sont d’une force extrême ; les paranoïaques raisonnent comme peu d’hommes normaux savent le faire ; les maniaques atteints de délire religieux rassemblent des foules de croyants comme peu de démagogues (si même il en est) réussissent à le faire, et avec une force intérieure que ceux-ci ne parviennent pas à communiquer à leurs partisans. Et tout cela prouve seulement que la folie est la folie.