George Sand, La Comtesse de Rudolstadt
III
— J’en reviens à mon Saint-Germain, reprit La Mettrie. Messire Pantagruel devrait l’inviter à souper demain avec nous.
— Je m’en garderai bien, dit le roi ; vous êtes assez fou comme cela, mon pauvre ami, et il suffirait qu’il eût mis le pied dans ma maison pour que les imaginations superstitieuses, qui abondent autour de nous, rêvassent à l’instant cent contes ridicules qui auraient bientôt fait le tour de l’Europe. Oh ! la raison, mon cher Voltaire, que son règne nous arrive ! Voilà la prière qu’il faut faire chaque soir et chaque matin.
— La raison, la raison ! dit La Mettrie, je la trouve séante et bénévole quand elle me sert à excuser et à légitimer mes passions, mes vices… ou mes esprits… donnez-leur le nom que vous voudrez ! Mais, quand elle m’ennuie, je demande à être libre de la mettre à la porte. Que diable ! je ne veux pas d’une raison qui me force à faire le brave quand j’ai peur, le stoïque quand je souffre, le résigné quand je suis en colère… Foin d’une pareille raison ! Ce n’est pas la mienne, c’est un monstre, une chimère de l’invention de ces vieux radoteurs de l’antiquité que vous admirez tous, je ne sais pas pourquoi. Que son règne n’arrive pas ! Je n’aime pas les pouvoirs absolus d’aucun genre et, si l’on voulait me forcer à ne pas croire en Dieu, ce que je fais de bonne grâce et de tout mon cœur, je crois que par esprit de contradiction, j’irais tout de suite à confesse.