Jacques Perret, Le caporal épinglé
Eloge de la piaule
J’ai bien quelques bons copains dans chacune des chambres mais je ne m’y sens pas à l’aise. Ce sont des copains de commando que j’aime à retrouver sur le chantier, mais qui chez eux, dans leurs piaules, ne sont plus tout à fait les mêmes. Malgré toute leur courtoisie, je reste l’hôte, presque l’étranger. L’odeur, la lumière et le bruit me révèlent un petit univers où je n’ai pas ma place et, l’essentiel une fois dit, plus rien ne m’y retient. Il est curieux de constater comment trente bonshommes choisis au petit bonheur et réunis dans une chambre font en quelques semaines une sorte de population homogène avec ses mœurs, ses humeurs, son langage et sa civilisation.
D’Accord pour mercredi
[…] Nous avions de ces équipées des relations emphatiques, enthousiastes ou écœurées selon l’humeur du témoin et quant à nous, les consignés, nous éprouvions plutôt un malaise et le soupçon d’une manœuvre diabolique en même temps que le dépit de voir s’ouvrir pour tant d’autres qui n’y songeaient même pas un champ de fuite aussi mirobolant. Non seulement, en effet, tout était simplifié pour les premiers pas, mais ces contacts avec les civils, femmes et hommes, offraient maintes ressources en planques, vêtements, papiers, vrais papiers, faux papiers, vrais faux papiers, etc. Il y avait bien le sous-off responsable, mais quand même ils ne fusillaient pas les ôtages. Et les collégiens, les chahuteurs comme les bons sujets, rentraient sagement au complet. On a le temps, disaient-ils, on cherche des combines et on se fait des relations. En fait de relations, plusieurs en cultivaient et des plus tendres, ajoutant d’autres chaînes à leurs chaînes et réalisant peu à peu les principales ambitions de l’homme libre qui sont une vie régulière, un foyer implacable et l’amour à la sauvette. […]