Le web de Dominique Guebey – Les belles lettres

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Onanisme et littérature

Sommaire

Brantôme (1537-1614), Vie des dames galantes

Deuxième discours – sur le sujet qui contente le plus en amour : ou le toucher, ou la veue, ou la parole

2. L’attouchement

Or, quant à l’attouchement, certainement il faut avouer qu’il est tres-delectable, d’autant que la perfection de l’amour c’est de jouir, et ce jouir ne se peut faire sans l’attouchement : car, tout ainsi que la faim et la soif ne se peut soulager et appaiser, sinon par le manger et le boire, aussi l’amour ne se passe ny par l’ouye ni par la veue, mais par le toucher, l’embrasser, et par l’usage de Venus. A quoi le badin fat Diogenes Cinicus rencontra badinement, mais salaudement pourtant, quand il souhaittoit qu’il pust abattre sa faim en se frottant le ventre, tout ainsi qu’en se frottant la verge il passoit sa rage d’amour1. J’eusse voulu mettre cecy en paroles plus nettes, mais il le faut passer fort legerement. Ou bien comme fit cet amoureux de Lamia2, qui, ayant esté par trop excessivement rançonné d’elle pour jouir de son amour, n’y put ou n’y voulut entendre ; et, pour ce, s’advisa, songeant en elle, se corrompre, se polluer, et passer son envie en son imagination : ce qu’elle ayant sceu, le fit convenir devant le juge qu’il eust à l’en satisfaire et la payer ; lequel ordonna qu’au son et tintement de l’argent qu’il luy monstreroit elle seroit payée, et en passeroit ainsi son envie, de mesme que l’autre, par songe et imagination, avoit passé la sienne.

Jean-Jacques Rousseau (1712-1778), Les Confessions

Livre 3

J’étois revenu d’Italie, non tout-à-fait comme j’y étois allé ; mais comme peut-être jamais à mon âge on n’en est revenu. J’en avois rapporté non ma virginité, mais mon pucelage. J’avois senti le progrès des ans ; mon tempérament inquiet s’étoit enfin déclaré à sa premiere éruption très-involontaire, m’avoit donné sur ma santé des alarmes qui peignent mieux que toute autre chose l’innocence dans laquelle j’avois vécu jusqu’àlors. Bientôt rassuré j’appris ce dangereux supplément qui trompe la nature & sauve aux jeunes gens de mon humeur beaucoup de désordres au prix de leur santé, de leur vigueur & quelquefois de leur vie. Ce vice que la honte & la timidité trouvent si commode, a de plus un grand attrait pour les imaginations vives ; c’est de disposer pour ainsi dire à leur gré de tout le sexe & de faire servir à leurs plaisirs la beauté qui les tente sans avoir besoin d’obtenir son aveu. Séduit par ce funeste avantage je travaillois à détruire la bonne constitution qu’avoit rétablie en moi la nature & à qui j’avois donné le tems de se bien former. Qu’on ajoute à cette disposition le local de ma situation présente ; logé chez une jolie femme, caressant son image au fond de mon coeur, la voyant sans cesse dans la journée ; le soir entouré d’objets qui me la rappellent, couché dans un lit où je sais qu’elle a couché. Que de stimulans ! tel lecteur qui se les représente me regarde déjà comme à demi mort. Tout au contraire ; ce qui devoit me perdre fut précisément ce qui me sauva, du moins pour un tems. Enivré du charme de vivre auprès d’elle, du désir ardent d’y passer mes jours, absente ou présente je voyois toujours en elle une tendre mere, une soeur chérie, une délicieuse amie & rien de plus. Je la voyois toujours ainsi, toujours la même & ne voyois jamais qu’elle. Son image toujours présente à mon coeur n’y laissoit place à nulle autre ; elle étoit pour moi la seule femme qui fût au monde, & l’extrême douceur des sentimens qu’elle m’inspiroit ne laissant pas à mes sens le tems de s’éveiller pour d’autres, me garantissoit d’elle & de tout son sexe. En un mot, j’étois sage parce que je l’aimois. Sur ces effets que je rends mal, dise qui pourra de quelle espece étoit mon attachement pour elle. Pour moi tout ce que j’en puis dire est que s’il paroît déjà fort extraordinaire, dans la suite il le paroîtra beaucoup plus.

François René de Chateaubriand (1768-1848), Mémoires d’Outre Tombe, Livre 3

La lecture précédente nous montre un Rousseau qui tient la promesse de franchise proclamée au début de ses Confessions.

Un demi-siècle plus tard vint Chateaubriand, Dieu des romantiques. Ses immortelles mémoires, imprimées dans toutes les têtes lectrices, y montrent, dans la précieuse première partie, le jeune breton qui se fabriquer une figure féminine à usage personnel. Telle une déesse, voici la fameuse et idéale Sylphide. Mais croira-t-on vraiment qu’il n’y avait là qu’une déité abstraite, sage image destinée à fournir une honnêtre inspiration à l’intellect du pur génie naissant ? Allons, François-René, votre prime jeunesse était-elle déjà si loin quand, retiré à la Vallée aux Loups, vous vous grattiez les méninges ?

[L3/Ch.10] Je me composai donc une femme de toutes les femmes que j’avais vues : elle avait la taille, les cheveux et le sourire de l’étrangère qui m’avait pressé contre son sein ; je lui donnai les yeux de telle jeune fille du village, la fraîcheur de telle autre. Les portraits des grandes dames du temps de François Ier, de Henri IV et de Louis XIV, dont le salon était orné, m’avaient fourni d’autres traits, et j’avais dérobé des grâces jusqu’aux tableaux des Vierges suspendues dans les églises.

Xavier de Maistre (1763-1852), Voyage autour de ma chambre

Chap. XXXIX

J’ai promis un dialogue, je tiens parole. – C’était le matin à l’aube du jour : les rayons du soleil doraient à la fois le sommet du mont Viso et celui des montagnes les plus élevées de l’île qui est à nos antipodes ; et déjà elle était éveillée, soit que son réveil prématuré fût l’effet des visions nocturnes qui la mettent souvent dans une agitation aussi fatigante qu’inutile, soit que le carnaval, qui tirait alors vers sa fin, fût la cause occulte de son réveil, ce temps de plaisir et de folie ayant une influence sur la machine humaine comme les phases de la lune et de la conjonction de certaines planètes. – Enfin, elle était éveillée et très éveillée, lorsque mon âme se débarrassa elle-même des liens du sommeil.

Depuis longtemps celle-ci partageait confusément les sensations de l’autre ; mais elle était encore embarrassée dans les crêpes de la nuit et du sommeil ; et ces crêpes lui semblaient transformée en gazes, en linon, en toile des Indes. – Ma pauvre âme était donc comme empaquetée dans tout cet attirail ; et le dieu du sommeil, pour la retenir plus fortement dans son empire, ajoutait à ses liens des tresses de cheveux blonds en désordre, de noeuds de rubans, des colliers de perles : c’était une pitié pour qui l’aurait vue se débattre dans ces filets.

L’agitation de la plus noble partie de moi-même se communiquait à l’autre, et celle-ci à son tour agissait puissamment sur mon âme. – J’étais parvenu tout entier à un état difficile à décrire, lorsque enfin mon âme,soit par sagacité, soit par hasard, trouva la manière de se délivrer des gazes qui la suffoquaient. Je ne sais si elle rencontra une ouverture, ou si elle s’avisa tout simplement de les relever, ce qui est plus naturel ; le fait est qu’elle trouva l’issue du labyrinthe. Les tresses de cheveux en désordre étaient toujours là ; mais ce n’était plus un obstacle, c’était plutôt un moyen : mon âme le saisit, comme un homme qui se noie s’accroche aux herbes du rivage ; mais le collier de perles se rompit dans l’action, et les perles se défilant roulèrent sur le sofa et de là sur le parquet de Mme de Hautcastel : car mon âme, par une bizarrerie dont il serait difficile de rendre raison, s’imaginait être chez cette dame ; un gros bouquet de violettes tomba par terre, et mon âme, s’éveillant alors, rentra chez elle, amenant à sa suite la raison et la réalité. Comme on l’imagine, elle désapprouva fortement tout ce qui s’était passé en son absence, et c’est ici que commence le dialogue qui fait l’objet de ce chapitre.

Jamais mon âme n’avait été si mal reçue. Les reproches qu’elle s’avisa de faire dans ce moment critique achevèrent de brouiller le ménage : ce fut une révolte, une insurrection formelle.

« Quoi donc : dit mon âme, c’est ainsi que, pendant mon absence, au lieu de réparer vos forces par un sommeil paisible, et vous rendre par là plus propre à exécuter mes ordres, vous vous avisez insolemment (le terme était un peu fort) de vous livrer à des transports que ma volonté n’a pas sanctionnés ? »

Peu accoutumée à ce ton de hauteur, l’autre lui repartit en colère :

« Il vous sied bien, Madame (pour éloigner de la discussion toute idée de familiarité), il vous sied bien de vous donner des airs de décence et de vertu ! Eh ! N’est-ce pas aux écarts de votre imagination et à vos extravagantes idées que je dois tout ce qui vous déplaît en moi ? Pourquoi n’étiez-vous pas là ? – Pourquoi auriez-vous le droit de jouir sans moi, dans les fréquents voyages que vous faites toute seule ? – Ai-je jamais désapprouvé vos séances dans l’Empyrée ou dans les Champs-Elysées, vos conversations avec les intelligences, vos spéculations profondes (un peu de raillerie comme on voit), vos châteaux en Espagne, vos systèmes sublimes ? Et je n’aurais pas le droit, lorsque vous m’abandonnez ainsi, de jouir des bienfaits que m’accorde la nature et des plaisirs qu’elle me présente ! »

Mon âme, surprise de tant de vivacité et d’éloquence, ne savait que répondre. – Pour arranger l’affaire, elle entreprit de couvrir du voile de la bienveillance les reproches qu’elle venait de se permettre, et, afin de ne pas avoir l’air de faire les premiers pas vers la réconciliation, elle imagina de prendre aussi le ton de la cérémonie. – « Madame, » dit-elle à son tour avec une cordialité affectée… – (Si le lecteur a trouvé ce mot déplacé lorsqu’il s’adressait à mon âme, que dira-t-il maintenant, pour peu qu’il veuille se rappeler le sujet de la dispute ? – Mon âme ne sentit point l’extrême ridicule de cette façon de parler, tant la passion obscurcit l’intelligence !) – Madame, dit-elle donc, je vous assure que rien ne me ferait autant de plaisir que de vous voir jouir de tous les plaisirs dont votre nature est susceptible, quand même je ne les partagerais pas, si ces plaisirs ne vous étaient pas nuisibles et s’ils n’altéraient pas l’harmonie qui… » Ici mon âme fut interrompue vivement : « Non, non, je ne suis point la dupe de votre bienveillance supposée : – le séjour forcé que nous faisons ensemble dans cette chambre où nous voyageons ; la blessure que j’ai reçue, qui a failli me détruire et qui saigne encore ; tout cela n’est-il pas le fruit de votre orgueil extravagant et de vos préjugés barbares ? Mon bien-être et mon existence même sont comptés pour rien lorsque vos passions vous entraînent – et vous prétendez vous intéresser à moi, et vos reproches viennent de votre amitié ! »

Mon âme vit bien qu’elle ne jouait pas le meilleur rôle dans cette occasion ; – elle commençait d’ailleurs à s’apercevoir que la chaleur de la dispute en avait supprimé la cause, et profitant de la circonstance pour faire une diversion : « Faites du café », dit-elle à Joannetti, qui entrait dans la chambre. – Le bruit des tasses attirant toute l’attention de l’insurgente, dans l’instant elle oublia tout le l’attention de l’insurgente, dans l’instant elle oublia tout le reste. C’est ainsi qu’en montrant un hochet aux enfants, on leur fait oublier les fruits malsains qu’ils demandent en trépignant.

Je m’assoupis Insensiblement pendant que l’eau chauffait. – Je jouissais de ce plaisir charmant dont j’ai entretenu mes lecteurs, et qu’on éprouve lorsqu’on se sent dormir. Le bruit agréable que faisait Joannetti en frappant de la cafetière sur le chenet retentissait sur mon cerveau, et faisait vibrer toutes mes fibres sensitives, comme l’ébranlement d’une corde de harpe fait résonner les octaves. – Enfin, je vis comme une ombre devant moi ; j’ouvris les yeux, c’était Joannetti. Ah ! quel parfum ; quel agréable surprise ! du café ! de la crème ! une pyramide de pain grillé ! – Bon lecteur, déjeune avec moi.

Fiodor Dostoïevski (1821-1881), Les possédés

II/9 Chez Tikhone

(2) Tout cela pour que chacun sache que jamais cette sensation ne m’a dominé entièrement, et que le conscience la plus lucide m’est toujours demeurée présente […]. Me livrant jusqu’à l’âge de seize ans, et sans la moindre tempérance, au vice dont se confessait Jean-Jacques Rousseau, je l’ai arrêté à la minute où j’ai décicé de le vouloir, à dix-sept ans. Je suis toujours maître de moi quand je le veux.

Marcel Proust (1871-1922), Du côté de chez Swann

Première partie, Combray

Quand ces tours de jardin de ma grand’mère avaient lieu après dîner, une chose avait le pouvoir de la faire rentrer […] Destinée à un usage plus spécial et plus vulgaire, cette pièce, d’où l’on voyait pendant le jour jusqu’au donjon de Roussainville-le-Pin, servit longtemps de refuge pour moi, sans doute parce-qu’elle était la seule qu’il me fut permis de fermer à clef, à toutes celles de mes occupations qui réclamaient une inviolable solitude : la lecture, la rêverie, les larmes et la volupté.

[…]

Hélas c’était que j’implorais le donjon de Roussainville, que je lui demandais de faire venir auprès de moi quelque enfant de son village, comme au seul confident que j’avais eu de mes premiers désirs, quand au haut de notre maison de Combray, dans le petit cabinet sentant l’iris, je ne voyais que sa tour au milieu du carreau de la fenêtre entr’ouverte, pendant qu’avec les hésitations héroïques du voyageur qui entreprend une exploration ou du désespéré qui se suicide, défaillant, je me frayais en moi-même une route inconnue et que je croyais mortelle, jusqu’au moment où une trace naturelle comme celle d’un colimaçon s’ajoutait aux feuilles du cassis sauvage qui se penchaient jusqu’à moi.

Marcel Proust (1871-1922), À l’ombre des jeunes filles en fleur

Première partie, Autour de Mme Swann

Si Swann était arrivé alors avant même que je l’eusse reprise, cette lettre de la sincérité de laquelle je trouvais qu’il avait été si insensé de ne pas s’être laissé persuader, peut-être aurait-il vu que c’était lui qui avait raison. Car m’approchant de Gilberte qui, renversée sur sa chaise, me disait de prendre la lettre et ne me la tendait pas, je me sentis si attiré par son corps que je lui dis :

— Voyons, empêchez-moi de l’attraper nous allons voir qui sera le plus fort.

Elle la mit dans son dos, je passai mes mains derrière son cou, en soulevant les nattes de cheveux qu’elle portait sur les épaules, soit que ce fût encore de son âge, soit que sa mère voulut la faire paraître plus longtemps enfant, afin de se rajeunir elle-même, nous luttions, arcboutés. Je tâchais de l’attirer, elle résistait ; ses pommettes enflammées par l’effort étaient rouges et fondes comme des cerises ; elle riait comme si je l’eusse chatouillée ; je la tenais serrée entre mes jambes comme un arbuste après lequel j’aurais voulu grimper : et, au milieu de la gymnastique que je faisais, sans qu’en fut à peine augmenté l’essoufflement que me donnait l’exercice musculaire et l’ardeur du jeu, je répandis, comme quelques gouttes de sueur arrachées par l’effort, mon plaisir auquel je ne pus pas même m’attarder le temps d’en connaître le goût ; aussitôt je pris la lettre. Alors, Gilberte me dit avec bonté :

—« Vous savez, si vous voulez, nous pouvons lutter encore un peu. »

Peut-être avait-elle obscurément senti que mon jeu avait un autre objet que celui que j’avais avoué, mais n’avait-elle pas su remarquer que je l’avais atteint. Et moi qui craignais qu’elle s’en fut aperçue (et un certain mouvement rétractile et contenu de pudeur offensée qu’elle eut un instant après, me donna à penser que je n’avais pas eu tort de le craindre), j’acceptai de lutter encore, de peur qu’elle pût croire que je ne m’étais pas proposé d’autre but que celui après quoi je n’avais plus envie que de rester tranquille auprès d’elle.

Marcel Proust (1871-1922), Sodome et Gomorrhe

Chap. III

Certes on peut prétendre qu’il n’y a qu’un temps, pour la futile raison que c’est en regardant la pendule qu’on a constaté n’être qu’un quart d’heure ce qu’on avait cru une journée. Mais au moment où on le constate, on est justement un homme éveillé, plongé dans le temps des hommes éveillés, on a déserté l’autre temps. Peut-être même plus qu’un autre temps : une autre vie. Les plaisirs qu’on a dans le sommeil, on ne les fait pas figurer dans le compte des plaisirs éprouvés au cours de l’existence. Pour ne faire allusion qu’au plus vulgairement sensuel de tous, qui de nous, au réveil, n’a ressenti quelque agacement d’avoir éprouvé, en dormant, un plaisir que, si l’on ne veut pas trop se fatiguer, on ne peut plus, une fois éveillé, renouveler indéfiniment ce jour-là ? C’est comme du bien perdu. On a eu du plaisir dans une autre vie qui n’est pas la nôtre. Souffrances et plaisirs du rêve (qui généralement s’évanouissent bien vite au réveil), si nous les faisons figurer dans un budget, ce n’est pas dans celui de la vie courante.

T.E. Lawrence (1888-1935), La matrice (The mint)

IV/10 Nuit de bal (Dance Night)

Tout à coup, il se baissa de nouveau, et murmura : “Devine ce qui m’est arrivé ce soir ? j’ai rencontré une fille… non, c’était pas vraiment une fille, et… ça a tout de suite gazé, et on est parti ensemble. Tu te rappelles la thune que je t’ai empruntée, lundi. Eh bien, ça a juste suffi.” De tout son poids, il se jeta durement sur le lit étroit, et s’y étendit, chuchotant avec excitation : “Tu sais ce que c’est que s’taper la colonne, et l’effet que ça fait. Eh bien, c’est comme plâtre et fromage…”

Suddenly he bent down again, muttering very gently, “Do you know what happened to me, tonight ? I met a girl … or she wasn’t a girl, really… and we… clicked and went off together. Remember that dollar I borrowed off you, Monday ? Well that just did it.” He threw his hard weight flat along the narrow bed, whispering eagerly, “You know blanket-drill, and what that feels like ? Well, it’s chalk to cheese…

Céline (1894-1961), Mort à crédit

(p. 263/610)

La manière que ça tourniquait, […]

Je me branlais trop pour la Nora, ça me faisait la bite comme toute sèche… dans le silence, je me créais d’autres idées nouvelles… et des bien plus astucieuses, plus marioles et plus tentantes, des tendres à force… Avant de quitter le Meanwell, j’aurais voulu la voir la môme, quand elle travaillait son vieux… Ça me rongeait… ça me minait soudain de les admirer ensemble… ça me redonnait du rassis rien que d’y penser. Ce qu’il pouvait lui faire alors ?

Lucien Rebatet (1903-1972), Les deux étendards

XIV. L’équation mystique

Il y courut ; le compagnon n’était point encore là. […] Sur les draps du lit défait, le compagnon avait cerné d’un coutour de crayon bleu les résultats géographiques de la sainte continence.

XXI. Éphémérides du péché mortel

Il serait si facile, en quelques secondes, d’obtenir l’évacuation ! J’y répugne. La masturbation est vice chrétien. Je suis convaincu qu’elle est l’exutoire pour quatre-vingt-dix-neuf sur cent des prêtres. Je sais trop qu’elle ne servirait qu’à m’exaspérer. Non, je ne voudrais point refaire connaissance avec ce vide, cette nervosité douceâtre qu’elle laisse. Elle est mécanique et stérile ; auprès d’elle, la dernière des putains est du moins une expérience. Et puis, la masturbation est trop littéraire.

Jean Genet (1910-1986), Le journal du voleur

[p. 42 coll. Folio] […] L’impatience gagnait le gitan qui ne se décidait pas à choisir une partie. Dans la poche il tripotait sa monnaie. Tout à coup il me prit par le bras.

— Venga !

Il m’emmena à deux pas de là vers le seul chalet de nécessité du Paralello tenu par une vieille femme. La soudaineté de sa décision m’étonnant je l’interrogeai :

— Qu’est-ce que tu vas faire ?

— Tu vas m’attendre.

— Pourquoi ?

Il me répondit un mot espagnol que je ne compris pas. Je le lui dis et il fit, en éclatant de rire, devant la vieille qui attendait ses deux sous, le geste de se branler. Quand il sortit, son visage était un peu coloré. Il souriait toujours.

— Ça va maintenant. Je suis prêt.

J’apprenais ainsi les précautions que prennent ici certains joueurs dans les grandes occasions afin d’être plus calmes.

[p. 166 coll. Folio]

De la plante araucaria les feuilles sont rouges, épaisses et duveteuses, un peu grasses et brunes. Elles ornent les cimetières, la tombe des pêcheurs morts depuis longtemps qui, durant des siècles, se promenèrent sur cette côte encore sauvage et douce. Ils brunirent leurs muscles, déjà noirs, en halant des bateaux et des filets. Ils portaient alors un costume dont les détails oubliés changèrent peu : une chemise très échancrée, un foulard multicolore autour de leur tête brune et bouclée. Ils marchaient pieds nus. Ils sont morts. La plante qui pousse aussi dans les jardins publics me fait songer à eux. Le peuple d’ombres qu’ils sont devenus continue ses lutineries, son bavardage ardent : je refuse leur mort. N’ayant d’autres plus beaux moyens de ressusciter un jeune pêcheur de 1730, pour qu’il vive plus fort, je m’accroupissais au soleil sur les rochers ou le soir dans l’ombre des pins et j’obligeais son image à servir mon plaisir. La compagnie d’un gamin ne suffisait pas toujours à me distraire d’eux.

Jacques Laurent (1919-2000), Les Bêtises

Il [l’onanisme] est l’auxiliaire efficace d’une conquête. En imaginant seul, la future possession de la femme désirée, on s’habitue à croire le succès possible et le plaisir qu’on en tirera sera multiplié par les alluvions que les précises rêveries auront laissées. Dans ce cas, l’acte aura été un exercice, une grande manœuvre, une approche qui préparait l’assaut.

William Boyd (1952), A good man in Africa

p.II/ch.3 : They enjoyed the final and the most passionate embrace of the evening in the dark driveway of the Fanshawe’s house… Later, lying back in his bed, he lazily contemplated the vivid memories of Priscilla’s strong smooth legs and tried to imagine what her breasts looked like, gently releasing his frustration into a wad of toilet paper. As the tingling pleasure seeped along his legs and out of his toes it was replaced by a slight but uncomfortable burning, scorching sensation at the tip of his penis…

Paul Auster (1947), Chronique d’hiver

Éditions Actes Sud, p. 184/246

...sur Joyce à Paris dans les années 1920 : quelque part dans une fête il y a quatre-vingt-cinq ans, une femme vient le trouver et lui demande si elle peut serrer la main qui a écrit Ulysse. Au lieu de lui tendre sa main droite, Joyce la lève au-dessus de sa tête, l’étudie quelques instants et dit : « Permettez-moi de vous rappeler, madame, que cette main a fait aussi bien d’autres choses. » Sans donner de détails, mais quel délicieux échantillon d’insinuations cochonnes, d’autant plus efficace qu’il laisse tout à l’imagination de la femme. Que voulait-il qu’elle voie ? Cette main quand il se torche le cul, sans doute, quand il se cure le nez, se masturbe au lit la nuit, quand il plonge ses doigts dans le con de Nora et lui triture le fion, quand il écrase des boutons, enlève des bouts de nourriture d’entre ses dents, s’arrache des poils des narines, extrait la cire de ses oreilles – que la femme remplisse les blancs voulus, le but étant de désigner ce qui sera le plus dégoûtant pour elle. p. 246/252

Pour faire ce que tu fais, il te faut marcher. Marcher, c’est ce qui attire les mots à toi, ce qui te permet d’entendre les rythmes des mots à mesure que tu les écris dans ta tête. Un pied en avant, puis l’autre, le double battement de tambour de ton cœur. Deux yeux, deux oreilles, deux bras, deux jambes, deux pieds. Ceci, puis cela. Cela, puis ceci. Écrire commence dans le corps, c’est la musique du corps, et même si les mots ont un sens, s’ils peuvent parfois en avoir un, c’est dans la musique des mots que commence ce sens. Tu t’assieds à ton bureau pour noter les mots, mais dans ta tête tu es encore en train de marcher, toujours en train de marcher, et ce que tu entends, c’est le rythme de ton cœur, le battement de ton cœur. Mandelstam : « Je me demande combien de paires de sandales Dante a usées en travaillant sur la Commedia. » L’écriture comme forme inférieure de la danse.

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Notes