Le web de Dominique Guebey – Les belles lettres

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   D o m i n i q u e   G u e b e y    J u n g l e      Les belles lettres

Homère, Iliade

Les belles Lettres, 1954 ; traduction Paul Mazon

Chant XVIII

Et Thétis, pleurante, à son tour lui dit :

« Ta fin est proche, mon enfant, si j’en crois ce que tu me dis ; car tout de suite après Hector, la mort est préparée pour toi. »

Achille aux pieds rapides violemment s’irrite et dit :

« Que je meure donc tout de suite, puisque je vois qu’il était dit que je ne pourrais porter aide à mon ami devant la mort ! Il a péri loin de sa terre, et il ne m’a pas trouvé là pour le préserver du malheur. Aujourd’hui donc — car il est clair que je ne reverrai pas les rives de ma patrie, pas plus que je n’ai su être la lumière du salut ni pour Patrocle ni pour aucun de ceux des miens qui, par centaines, sont tombés sous les coups du divin Hector, tandis que je restais ainsi, inactif, près des nefs, vain fardeau de la terre, moi, qu’aucun Achéen à la cotte de bronze n’égale à la bataille, s’il en est de meilleurs au Conseil. Ah ! qu’il périsse donc, chez les dieux comme chez les hommes, cet esprit de querelle, ce courroux, qui induit l’homme en fureur, pour raisonnable qu’il puisse être, et qui semble plus doux que le miel sur la langue, quand, dans une poitrine humaine, il monte comme une fumée ! et c’est de la sorte qu’ici j’ai été mis en courroux par le protecteur de son peuple, Agamemnon. Mais laissons le passé être le passé, quoi qu’il nous en coûte, et maîtrisons, puisqu’il le faut, notre cœur en notre poitrine. — Aujourd’hui donc, j’irai, je rejoindrai celui qui a détruit la tête que j’aimais, Hector ; puis la mort, je la recevrai le jour où Zeus et les autres dieux immortels voudront bien me la donner. Le puissant Héraclès lui-même n’a pas échappé à la mort ; il était cher entre tous cependant à sire Zeus, fils de Cronos ; mais le destin l’a vaincu, et le courroux cruel d’Héré. Eh bien donc ! si même destin m’est fixé, on me verra gisant sur le sol, à mon tour, quand la mort m’aura atteint. Mais aujourd’hui j’entends conquérir une noble gloire, et que, grâce à moi, plus d’une Troyenne et d’une Dardanide à ceinture profonde, essuyant à deux mains les larmes coulant sur ses tendres joues, commence de longs sanglots, et qu’alors toutes comprennent qu’elle a assez longtemps duré, mon absence de la bataille. Ne cherche pas, quelle que soit ta tendresse, à me tenir loin du combat ; aussi bien ne t’écouterai-je pas. »