Joseph Heller, Catch 22
XLI - Snowden
[…] Puis il enroula une bande de gaze autour de la compresse. La seconde fois qu'il fit passer la bande autour de la cuisse de Snowden, il aperçu sur la face interne le petit trou par lequel l'éclat d'obus avait pénétré, une plaie ronde, froncée, de la taille d'une pièce de monnaie frangée de bleu et au centre noir, à l'endroit où le sang coagulait. Yossarian saupoudra également cette plaie de sulfanilamide et continua à enrouler la gaze autour de la jambe de Snowden, jusqu'à ce que la compresse fût bien serrée. Puis il coupa le bandage avec la paire de ciseaux et glissa l'extrémité entre deux épaisseurs. Il accomplit tout cela très vite. Le bandage était réussi, il le savait, et il s'assit sur ses talons, fier de lui, essuya son front couvert de sueur et sourit amicalement à Snowden.
« J'ai froid, gémit Snowden. J'ai froid.
– Ça va aller, petit, lui assura Yossarian en lui tapotant le bras. Tout est en ordre maintenant. »
Snowden secoua faiblement la tête. « J'ai froid », répéta-t-il. Ses yeux étaient ternes, vides. « J'ai froid ».
– Là, là », fit Yossarian, dont l'effroi et la peur grandissaient. « Là, là… Nous allons atterrir dans un petit moment et Doc Daneeka va s'occuper de toi. »
Mais Snowden s'obstinait à secouer la tête. D'un mouvement imperceptible du menton, il finit par attirer l'attention de Yossarian sur son aisselle. Yossarian se pencha pour regarder et aperçut une tache d'une couleur bizarre qui s'étendait sur la combinaison juste au-dessus de l'emmanchure. Yossarian sentit son cœur s'arrêter, puis se mettre à battre si violemment qu'il en eût le souffle coupé. Snowden était blessé à l'intérieur même de sa combinaison anti-DCA. Yossarian arracha les boutons de la combinaison de Snowden et s'entendit hurler de terreur : les tripes de Snowden dégringolaient sur le plancher en une masse pâteuse, dégoulinante. Un éclat d'obus de plus de six centimêtre avait pénétré de l'autre côté, sous son bras, l'avait transpercé de part en part en emportant avec lui des quartiers entiers du malheureux à travers le trou gigantesque creusé dans ses côtes. Yossarian hurla de nouveau et se cacha les yeux derrière ses mains. Il claquait des dents. Malgré l'horreur, il se força à regarder encore. La prodigalité de Dieu s'étalait devant lui, se dit-il amèrement – foie, poumons, reins, côtes, estomac, plus les morceaux de tomates bouillies que Snowden avait mangées ce jour-là au déjeuner. Yossarian détestait les tomates bouillies ; il eut un malaise, se détourna et vomit, les mains crispées sur sa gorge brûlante. Le mitrailleur de queue reprit connaissance pendant que Yossarian vomissait, le vit et s'évanouit derechef. Yossarian était épuisé de douleur et de désespoir. Sans force, il se retourna vers Snowden, dont le souffle s'était accéléré et le visage avait pâli. Il se demanda par où commencer pour essayer de le sauver.
« J'ai froid, murmura Snowden. J'ai froid.
[…]