Sigmund Freud, L’avenir d’une illusion
VI
[…] L’ignorance est l’ignorance ; il n’en dérive aucun droit à croire quoi que ce soit. Aucun être raisonnable ne se comportera aussi légèrement en d’autres affaires ni ne se contentera de si misérables raisons pour fonder ses jugements, ses prises de position, ce n’est que dans les affaires les plus hautes et les plus sacrées qu’il se le permet. En réalité, ce ne sont que des efforts pour faire accroire à soi-même ou aux autres qu’on tient encore fermement à la religion, alors qu’on s’en est détaché depuis longtemps. Lorsqu’il s’agit de questions de religion, les hommes se rendent coupables de toutes les malhonnêtetés, de toutes les inconvenances intellectuelles possibles. Les philosophes étirent la signification des mots jusqu’à ce que ceux-ci conservent à peine quelque chose de leur sens d’origine, ils appellent « Dieu » quelque vague abstraction qu’ils se sont créée et les voilà désormais, à la face du monde, déistes, croyants en Dieu, ils peuvent s’enorgueillir d’avoir reconnu un concept de Dieu plus élevé, plus pur, bien que leur Dieu ne soit plus qu’une ombre sans substance, et non plus la puissante personnalité de la doctrine religieuse. Les critiques persistent à déclarer « profondément religieux » un homme qui reconnaît avoir le sentiment de la petitesse et de l’impuissance humaines face à l’ensemble du monde, bien que ce ne soit pas ce sentiment qui constitue l’essence de la religiosité, mais bien seulement le pas suivant, la réaction à ce sentiment, réaction qui cherche un recours contre lui. Celui qui ne va pas plus loin, qui se contente avec humilité du rôle infime de l’homme dans le vaste monde, celui-là est bien plutôt irréligieux dans le sens le plus vrai du mot.