Sigmund Freud, Malaise dans la Civilisation
Chap. II
La religion porte préjudice au jeu d’adaptation et de sélection en imposant uniformément à tous ses propres voies pour parvenir au bonheur et à l’immunité contre la souffrance. Sa technique consiste à rabaisser la valeur de la vie et à déformer de façon délirante l’image du monde réel, démarches qui ont pour postulat l’intimidation de l’intelligence. A ce prix, en fixant de force ses adeptes à un infantilisme psychique et en leur faisant partager un délire collectif, la religion réussit à épargner à quantité d’êtres humains une névrose individuelle, mais c’est à peu près tout. Il y a, nous l’avons dit, quantité de chemins pour conduire au bonheur, tel du moins qu’il est accessible aux hommes ; mais il n’en est point qui y mène à coup sûr. La religion elle-même peut ne pas tenir sa promesse. Quand le croyant se voit en définitive contraint d’invoquer les « voies insondables de Dieu », il avoue implicitement que, dans sa souffrance, il ne lui reste, en guise de dernières et uniques consolations et joies, qu’à se soumettre sans conditions. Et s’il est prêt à le faire, il aurait pu sans doute s’épargner ce détour.