Charles Dickens, L’ami commun
Livre I
Ch. XII – La sueur du front d’un honnête homme
[…]
Ce n’était pas encore l’été, mais le printemps ; et ce n’était pas le tendre printemps d’une douceur éthérée, comme dans Les Saisons, de Johnson, de Jackson, de Dickson, de Smith et de Jones. Le vent âpre coupait comme une scie plutôt qu’il ne soufflait ; et tandis qu’il sciait, la sciure volait dans la fosse des scieurs. Chaque rue était une fosse de scieurs, et il n’y avait pas de scieur de dessus ; chaque passant était un scieur de dessous, aveuglé et suffoqué par la sciure.
Cette mystérieuse monnaie de papier qui circule dans Londres quand le vent souffle tournoyait ici et là et partout. D’où peut-elle venir, où peut-elle aller ? Elle s’accroche à chaque buisson, palpite dans chaque arbre, est attrapée au vol par les fils électriques, fréquente tous les enclos, boit à toutes les pompes, se tapit contre toutes les claires-voies, frissonne sur tous les carrés d’herbe, cherche en vain le repos derrière les innombrables grilles de fer. A Paris, où on ne gaspille rien, toute dispendieuse et luxueuse que soit cette grande ville, où d’extraordinaires fourmis humaines sortent de leur trou et récoltent tous les déchets, cela n’existe pas. Là le vent ne remue que de la poussière. Là des yeux aigus, et des estomacs aigus moissonnent même le vent d’est et en tirent quelque chose.