Le web de Dominique Guebey – Les belles lettres

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   D o m i n i q u e   G u e b e y    J u n g l e      Les belles lettres

G.K. Chesterton, L’homme à la clef d’or

Ed. Les belles lettres, trad. Maurice Beerblock

Ch. I – Témoignages par ouï-dire

Quoi qu’il en soit, et c’est ce que je tenais à dire ici, mes parents appartenaient à cette classe moyenne un peu vieux jeu où il était encore permis à un homme d’affaires de s’occuper de ses propres affaires. Ils n’avaient encore aucune notion du point de vue, peut-être plus élevé, que nous avons connu plus tard ; je veux dire : de la conception commerciale, plus avancée que la leur, et plus aventureuse aussi, selon quoi un homme d’affaires est censé rivaliser avec ses confrères dans le dessein de les absorber, de les ruiner, de les détruire, on voudrait dire de les déglutir. Mon père était un libéral de l’école qui était encore en faveur quand apparut le socialisme. S’il tenait pour acquis que tout homme sain d’esprit croit à la réalité de la propriété privée, il ne prenait pas toujours souci de transformer cette conception en une entreprise privée.

En toutes circonstances, mes parents observaient une ligne de conduite conforme à la plus sévère probité commerciale ; mais peut-être cette conception fut-elle plus stricte dans tout ce milieu de commerçants, flegmatiques jusqu’à l’impassibilité, qu’elle ne fut plus tard, quand la notion de réussite commerciale se trouva mêlée, non seulement de cynisme, mais d’un goût singulier pour l’aventure, et presque pour la piraterie. Ce changement peut-être perçu, comme ce fut le cas dans l’évolution du mot « respectable », dans le climat de certains mots. Aujourd’hui, le modèle idéal, en matière de morale, et même en matière de religion, surtout dans la religion telle qu’elle est popularisée par des journaux qui s’adressent aux millions d’hommes d’affaires modernes, c’est d’être un « aventurier ». Monstre on ne peut plus menaçant pour la morale, puisque les hommes d’affaires de ma vieille classe moyenne se sentaient marqués comme au fer rouge par ce genre d’aventurier. Il faut croire que, par la suite, le monde a dû justifier certaines aventures à peu près indéfendables en les parant de la magie de l’aventure.

Ch. II – L’homme à la clef d’or

En dehors du fait que ce souvenir est mon tout premier souvenir, j’ai plusieurs raisons pour lui donner la première place. Je ne suis pas un psychologue, Dieu merci ; mais si les psychologues continuent à répéter ce que les personnes ordinaires et saines d’esprit n’ont cessé de dire : que les premières impressions comptent beaucoup dans la vie, je retrouve dans ce souvenir le symbole de tout ce que j’aime en fait d’images, et même d’idées. Toute ma vie, j’ai aimé les bords, les arêtes ; et la limite qui amène une chose à se dresser très vivement contre une autre. Toute ma vie, j’ai aimé les bornes et les cadres ; je prétends que le plus vaste désert paraît plus vaste encore vu par une fenêtre. N’en déplaise à tous les graves critiques dramatiques, j’ajoute en outre que le théâtre parfait doit s’efforcer d’atteindre au caractère extatique des tableaux vus dans les optiques. J’ai aussi un goût très marqué pour les abîmes, les ravins, pour tout ce qui accuse d’une façon subtile la nuance qui va d’une chose à une autre ; et ce goût très marqué que j’ai toujours eu pour les ponts tient à ce fait qu’une arche vertigineuse et sombre souligne le vide beaucoup mieux que le vide lui-même. Je ne puis retrouver le souvenir de la beauté de la princesse ; mais à revoir le pont que le prince traversait pour aller jusqu’à elle, je juge de ce qu’elle était. […] c’est, tout simplement, que, si j’associe ces souvenirs à l’idée du bonheur, c’est parce que j’étais heureux quand je les vis.

[…]

En vérité, les choses dont nous nous souvenons sont celles-là même que nous avons oubliées. Je veux dire que lorsqu’un souvenir nous revient, brusque et impérieux, à travers cette protection que lui offre l’oubli, il apparaît, pendant un instant, exactement tel qu’il était ; mais si nous y pensons souvent, tandis que ses traits essentiels restent incontestablement fidèles, il se transforme peu à peu, pour devenir, de plus en plus, notre souvenir de la chose plutôt que la chose elle-même. […] On touche ici du doigt la difficulté réelle qu’il y a à se remémorer quoi que ce soit  ; c’est qu’on s’est trop rappelé la chose, pour s’en être souvenu trop souvent.

[…]

De ces souvenirs d’ordre général, et relatifs au souvenir même, je tire une certaine déduction. Ce qui était merveilleux dans l’enfance, c’est que tout était merveilleux. Son univers n’était pas seulement un univers plein de miracles ; c’était un univers miraculeux. Ce qui me cause cette exaltation, c’est presque tout ce dont je me souviens ; et non seulement les choses que je trouverais les plus dignes d’être rappelées. C’est en quoi cette exaltation diffère de l’autre grande émotion du passé ; je veux dire : de tout ce qui se rapporte au premier amour et à la passion romantique ; car ceci, bien que non moins poignant, finit toujours par se résoudre : le souvenir du premier amour est étroit et affilé comme une rapière qui percerait le cœur ; mais les souvenirs d’enfance sont plutôt comme cent fenêtres ouvertes de tous les côtés de la tête.

[…]

Une marotte n’est ni une vacance, ni un congé. Ce n’est pas seulement une détente momentanée, nécessaire pour régénérer le travail ; et, à ce point de vue, un dada doit être nettement distingué de la plupart des choses auxquelles on donne le nom de sport. Une bonne partie, à tel ou tel jeu, est une bonne chose ; mais ce n’est pas la même chose qu’une marotte ; et beaucoup de gens vont jouer au golf ou chasser la grouse parce que c’est là une forme concentrée de récréation ; tout comme ce que nos contemporains trouvent dans le whisky est une forme concentrée de ce que nos pères trouvaient répandu dans la bière. Si une demi-journée de congé est faite pour arracher un homme à lui-même, ou pour faire de lui un homme neuf, la chose sera mieux faite par le moyen de quelque violente, de quelque excitante compétition, comme est le sport. Mais un dada n’est pas l’affaire d’une demi-journée ; c’est la moitié d’une vie entière. Il serait plus exact d’accuser le maniaque de vivre une double vie. Et telle manie, comme celle de construire des petits théâtres, revêt un caractère qui se développe parallèlement à l’effort professionnel quotidien, et n’est pas seulement une réaction contre cet effort. Se consacrer à une telle marotte ce n’est pas uniquement « prendre de l’exercice » ; c’est « faire de l’ouvrage ». Ce n’est pas simplement exercer son corps pour reposer son esprit, chose excellente, mais aujourd’hui généralement reconnue. C’est exercer le reste de son esprit, chose aujourd’hui presque entièrement négligée. Browning, ce Victorien modèle, dit qu’il aime savoir qu’un boucher peint, qu’un boulanger fait des poêmes ; il ne serait guère satisfait d’apprendre qu’un boucher joue au tennis, un boulanger au golf. Or, mon père et mes oncles, Victoriens typiques, eux aussi, de l’espèce qui suivit Browning, étaient tous marqués à des degrés divers par ce goût qu’ils avaient d’avoir des goûts qui leur étaient propres.

[…]

Or, les enfants, comme les adultes, sont fantaisistes par instant ; mais ce n’est pas là ce qui, dans ma pensée comme dans ma mémoire, distingue les enfants des adultes. Ma mémoire me restitue le souvenir d’une sorte de lumière blanche épandue sur toutes choses, détachant les choses avec une grande clarté, et magnifiant plutôt leur solidité. Le fait est que cette lumière blanche avait en soi la vertu d’une sorte de merveilleux ; comme si le monde était aussi neuf que je l’étais moi-même, mais non point comme si le monde était autre chose qu’un monde réel. Je suis bien plus disposé aujourd’hui à me figurer qu’un pommier vu au clair de lune ressemble un peu à un fantôme, à une nymphe grise ; ou à voir, au crépuscule, les meubles changer de place et ramper d’une manière fantastique, comme dans une histoire de Poe ou de Hawthorne. Mais quand j’étais enfant, j’éprouvais une sorte de confiant étonnement à contempler le pommier tout en le tenant pour ce qu’il était. J’étais sûr de la réalité du pommier, mais non moins sûr de la surprise que me causait sa vue ; aussi sûr que j’étais sûr que c’est Dieu qui a fait les pommes, les grosses comme les petites. Les pommes pouvaient être petites comme j’étais moi-même petit ; mais elles étaient fermes, comme j’étais solide, moi aussi.

Ch. V – Le nationalisme et Notting Hill

J’ai tout juste l’âge de me rappeler le monde tel qu’il était avant le téléphone. Je n’étais alors qu’un enfant ; je me souviens que mon père et mon oncle installèrent le premier téléphone que j’aie vu de ma vie, et cela par leurs propres moyens, métaux et produits chimiques ; un téléphone en miniature, qui permettait de parler de la dernière chambre à coucher sous les toits jusqu’au bout de notre jardin. Mon imagination en fut très vivement frappée, et je ne crois pas avoir été jamais impressionné au même degré par n’importe quel perfectionnement ultérieur du téléphone. La question n’est pas sans importance pour la théorie de l’imagination. Je fus bien étonné d’entendre une voix résonner ainsi dans la chambre quand elle partait en réalité d’aussi loin que de la rue voisine. La chose m’eût à peine surpris davantage si la voix fût venue de la ville prochaine. Et je ne suis pas plus surpris qu’elle puisse venir aujourd’hui d’un autre continent. Le temps du miracle est passé. En somme, même pour les grandes choses de la science, c’est sur une petite échelle que jes les admirais le plus.

[…]

Il est clair, à en juger par les faits, que l’enfant est positivement amoureux de limites. Son imagination même lui sert à inventer des limites imaginaires. Sa nurse ni sa gouvernante ne lui ont jamais dit qu’il est de son devoir moral de mettre alternativement le pied sur un pavé, puis sur un autre, en évitant, en enjambant celui qui les sépare. Il prive délibérément ce monde où nous sommes de la moitié de ses pavés, afin de s’exalter à triompher dans un défi qu’il s’est proposé à lui-même. J’ai joué tout seul à ce jeu sur tous les paillassons, planchers et tapis de la maison paternelle, et, au risque d’être détenu dans un établissement spécial aussi longtemps qu’il plaira à Sa Majesté britannique, j’avoue que j’y joue encore souvent.

[…]

…j’ai toujours senti que c’était le devoir premier du vrai patriote anglais, de sympathiser avec le patriotisme passionné de l’Irlande ; et que j’ai exprimé cette opinion aux heures les plus graves de la tragédie de l’Irlande ; et que je n’en ai point changé quand elle a triomphé.

Toutefois, fait assez curieux, mon souvenir le plus aigu de l’énigme de ce paradoxe patriotique, et de la difficulté de faire voir à d’autres ce qui était si évident pour moi, n’a aucun rapport avec l’Irlande ou avec l’Angleterre ; mais… chose inouïe, avec l’Allemagne ! Quelque temps après tous les événements dont je viens de parler, j’eus besoin de me rendre à Francfort, où j’entrepris un peu à la légère une série de conférences sur la littérature anglaise devant un Congrès d’instituteurs allemands. Nous dissertàmes sur le Marmion de Walter Scott et sur d’autres romans métriques ; en buvant de la bière allemande, nous chantâmes des chansons anglaises et nous passâmes des moments agréables. Mais déjà, parmi ces Allemands aimables et doux, quelque chose flottait dans l’air qui était un peu moins agréable ; et bien que mes interlocuteurs exprimassent la chose de la façon la plus courtoise, je me trouvai tout à coup, une fois de plus, devant la même difficulté sur la notion du national et de l’impérial. Car, parlant avec quelques-uns d’entre eux comme à des simples représentants du monde international de la culture, et touchant le sujet de la littérature en général, je fus amené à faire allusion à cette préférence que j’avais pour ce que certains considéraient comme une idée national très étroite. Je m’aperçus qu’ils étaient intrigués, eux aussi ; ils m’assurèrent, de ce ton grave sur lequel seul un Allemand peut répéter ce qu’il considère comme une platitude, que l’Impérialismus et le Patriotismus étaient une seule et même chose. Quand ils découvrirent que je n’aimais pas l’impérialisme, même pour mon propre pays, une expression très curieuse apparut dans leurs yeux, et une idée plus curieuse encore sembla se faire jour dans leurs têtes. Ils se firent de moi cette notion extraordinaire que j’étais un internationaliste, indifférent, ou peut-être même hostile aux intérêts anglais. Peut-être crurent-ils que Gilbert Keiith Chesterton n’était qu’un autre Houston Stewart Chamberlain. Quoiqu’il en soit, ils se mirent à parler un peu plus ouvertement, mais pas encore très clairement ; et je pris peu à peu conscience que ces gens extraordinaires se figuraient vraiment que je pourrais accepter, ou approuver, sur le plan de l’ethnologie, ou de la sociologie, ou sur un autre terrain, une expansion de la race teutonne au risque de l’impuissance, voire de l’absorption de mon propre pays. La situation était délicate ; ils ne disaient rien de précis, dont j’eusse le droit de me montrer froissé ; il y avait tout simplement ceci, que je sentais dans l’air quelque chose d’étouffant, et comme une menace. Et cette menace, c’était l’espoir de leur grand jour.

Ch. IX – L’affaire contre la corruption

Le nombre croissant des intellectuels qui se contentent de dire que la démocratie a échoué oublient de constater une calamité beaucoup plus désastreuse : c’est que la ploutocratie a réussi. Je veux dire qu’elle a obtenu le seul succès qu’elle pouvait avoir ; car la ploutocratie n’a ni philosophie ni morale, et même aucune signification ; elle ne peut obtenir qu’un succès matériel, c’est-à-dire un succès de mauvais aloi. La ploutocratie ne peut signifier qu’une chose ; la réussite des ploutocrates en tant que ploutocrates. Mais de ce succès, ils n’ont joui que jusqu’au jour récent où la critique économique du système les ébranla comme peut faire un tremblement de terre. Pour la démocratie, le risque est exactement opposé. Nous pouvons dire, non sans raison, que la démocratie a échoué ; mais par là, nous ne dirons rien de plus que ceci : que la démocratie a échoué dans sa tentative d’exister. C’est un non-sens de dire que les États capitalistes, compliqués, mais centralisés, de ces cent dernières années ont souffferrt d’un sens exagéré de l’égalité des hommes, ou de la trop grande simplicité du genre humain. Tout au plus pourrions-nous dire que la théorie civique a accrédité une sorte de mensonge légal, à l’abri duquel un homme riche pourrait régir toute une civilisation, là où un jour il avait pu gouverner une cité ; ou un usurier prendre dans son filet six nations, là où il put un jour n’y prendre qu’un village.

Ch. XI – L’ombre du glaive

Je me mis néanmoins au travail, pour apporter, dans la mesure où j’en étais capable, ma collaboration aux journaux de toutes opinions en même temps qu’à la propagande du gouvernement. Celle-ci comptait plusieurs départements. Je puis bien observer ici que la conduite de la Guerre, soit à l’intérieur, soit à l’extérieuur du pays, fut une excellente formation pour un écrivain déjà trop porté vers les théories, dans cette question complexe et concrète des réalités humaines qui est le mystère et l’inconsistance de cette même réalité. L’homme semble capable de grandes, mais non de petites vertus ; il est capable de défier son tortionnaire, mais non de dominer son humeur. Et je dois admettre que je fus confondu, pendant que je faisais de la littérature propagandiste à la requête de divers départements officiels, par le spectacle des petites vanités et des jalousies dignes de vieilles filles qui semblaient diviser entre eux ces départements, et par la manière dont ils continuaient à appliquer leur formalisme minutieux dans la grande lumière du Jour du Jugement. Les faits ressemblaient vraiment beaucoup au tableau si habilement peint par M. Arnold Bennett dans son histoire de Lord Raingo. Je comprenais très bien qu’un homme fût lâche et pût s’enfuir devant un Allemand ; je puis comprendre, et j’espère humblement que je pourrais encourager le combattant qui résiste et qui combat courageusement. Mais qu’un Anglais, quel qu’il fut, pût se conduire comme s’il s’agissait, non d’une guerre entre un Anglais et un Allemant, mais du conflit entre un employé du ministère des Affaires étrangères et un employé du Ministère de la Guerre, voilà qui échappe entièrement à ma faculté d’imagination.

[…]

Je devins en effet directeur de journal. En tout temps la chose me serait apparue comme à peu près aussi probable ou possible que de devenir éditeur, ou banquier, ou bien encore rédacteur de l’article de Tête du Times. Mais la nécessité naquit du fait que l’existence de notre petit journal, le New Witness, journal passionnément patriote et pro-allié, mais non moins passionnément opposé au chauvinisme du Daily Mail, se prolongeait au delà de ce qu’on avait prévu. Il n’y avait pas tant de gens à qui l’on pût se fier pour entretenir ces deux indignations distinctes, en se gardant de les résoudre en cet expédient dégoûtant qui consiste à se montrer modéré.

Ch. XIV – Portrait d’un ami

Mais si c’est une erreur complète de croire qu’il y avait quelque chose de spécialement français dans l’art oratoire, démocratique et direct, auquel Belloc recourait dans ce temps-là, il reste vrai que Belloc avait une autre qualité, qu’il pratiquait aussi, et qui, je crois, peut-être vraiment appelée, celle-là, spécifiquement française. Nous avons souvent une idée assez sotte et en tout cas inexacte de l’esprit français ; la pleine richesse de ce fruit de la culture est rarement soupçonnée par nous, même quand nous parlons de l’ironie française ; car la meilleure ironie française ne consiste pas uniquement à dire une chose alors qu’on pense le contraire ; c’est, en même temps, montrer et retenir, dans un même éclair, toute une série des aspects d’une chose ; comme un homme qui ferait jouer à la lumière les vingt facettes d’un joyau. Plus le propos est concis, irrespectueux, et en apparence superficiel, plus il y a dans cette ironie un élément de mystère. Il y a toujours, pour un esprit simple, un élément de confusion dans ce que comporte une citation comme celle de Voltaire, que je cite de mémoire : « Pour réussir dans le monde, il ne suffit pas d’être bête, il faut avoir de bonnes manières ». Chose curieuse, on retrouve exactement la même qualité dans le message militaire courant d’un soldat très peu disert et très réaliste ; dans celle de Foch, lors de la crise suprême de la Marne, par exemple : « Ma droite est durement pressée, ma gauche est en retraite ; situation excellente : j’attaque. » Un tel propos pourrait être toutes sortes de choses, en dehors de la chose tout à fait réaliste et prosaïque qu’elle est. Elle pourrait être un paradoxe ; ou une vantardise ; ou l’amère plaisanterie du désespoir ; or, en fait, elle reste à chaque instant unne description tout à fait exacte, aussi exacte qu’une carte militaire, des désavantages de la situtation tactique immédiate de celui qui la formule.

Ch. XV – Le voyageur inaccompli

Pour ce qui est de la France, je m’y étais promené de-ci de-là depuis toujours, c’est-à-dire depuis que mon père m’y avait emmené enfant ; et Paris était la seule capitale étrangère que je connusse. C’est à mon père que je dois d’avoir au moins été un voyageur, et non point un touriste. Le distinguo n’est pas d’un snob ; en fait, il est plutôt la marque d’une époque que celle d’une éducation ; la moitié de tous les malentendus dont l’homme moderne est si souvent victime viennent de ce qu’on le forme à comprendre les langues étrangères, et à se méprendre sur l’étranger. Le voyageur voit ce qu’il voit ; le touriste voit ce qu’il est venu pour voir.