Le web de Dominique Guebey – Les belles lettres

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   D o m i n i q u e   G u e b e y    J u n g l e      Les belles lettres

Walter Benjamin, ŒUVRES

Ed. Gallimard, traductions Maurice de Gandillac, Rainer Roschlitz et Pierre Rusch.

Sur le concept d’Histoire, VIII

La tradition des opprimés nous enseigne que « l’état d’exception » dans lequel nous vivons est la règle…

…S’effarer que les évènements que nous vivons soient « encore » possibles au XXème siècle, c’est marquer un étonnement qui n’a rien de philosophique. Un tel étonnement ne mène à aucune connaissance, si ce n’est à comprendre que la conception de l’histoire d’où il découle n’est pas tenable.

L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique, chap. X

…il n’existe guère aujourd’hui d’Européen qui, tant qu’il garde sa place dans le processus du travail, ne soit assuré en principe de pouvoir trouver, quand il le veut, une tribune pour raconter son expérience professionnelle, pour exposer ses doléances, pour publier un reportage ou un autre texte du même genre. Entre l’auteur et le public, la différence est en voie, par conséquent, de devenir de moins en moins fondamentale. Elle n’est plus que fonctionnelle et peut varier d’un cas à l’autre. A tout moment, le lecteur est prêt à devenir écrivain. Avec la croissante du travail, chacun a dû devenir, tant bien que mal, un expert en sa matière — fût-ce une matière de peu d’importance — et cette qualification lui permet d’accéder au statut d’auteur.

[Remarque] Aldous Huxley écrit :

Les progrès en technologie ont conduit … à la vulgarité … la reproduction par procédés mécaniques et la presse rotative ont rendu possible la multiplication indéfinie des écrits et des images. L’instruction universelle et les salaires relativement élevés ont créés un public énorme sachant lire et pouvant s’offrir de la lecture et de la matière picturale. Une industrie importante est née de là, afin de fournir ces données. Or, le talent artistique est un phénomène très rare ; il s’ensuit … qu’à toute époque et dans tous les pays, la majeure partie de l’art a été mauvais. Mais la proportion de fatras dans la production artistique totale est plus grande maintenant qu’à aucune autre époque … C’est là une simple question d’arithmétique … Il résulte de là que, dans tous les arts, la production de fatras est plus grande … qu’elle ne l’a été autrefois ; et qu’il faudra qu’elle demeure plus grande, aussi longtemps que le monde continuera à consommer les quantités actuelles et démesurées en matières à lire, à voir et à entendre.

(Aldous Huxley, Croisière d’hiver. Voyage en Amérique centrale 1933, trad. Julien Cartier, Plon 1935).

Sur le concept d’Histoire, IX

Il existe un tableau de Klee qui s’intitule « Angelus Novus ». Il représente un ange qui semble sur le point de s’éloigner de quelque chose qu’il fixe du regard. Ses yeux sont écarquillés, sa bouche ouverte, ses ailes déployées. C’est à cela que doit ressembler l’Ange de l’Histoire. Son visage est tourné vers le passé. Là où nous apparaît une chaîne d’évènements, il ne voit, lui, qu’une seule et unique catastrophe, qui sans cesse amoncelle ruines sur ruines et les précipite à ses pieds. Il voudrait bien s’attarder, réveiller les morts et rassembler ce qui a été démembré. Mais du paradis souffle une tempête qui s’est prise dans ses ailes, si violemment que l’ange ne peut plus les refermer. Cette tempête le pousse irrésistiblement vers l’avenir auquel il tourne le dos, tandis que le monceau de ruines devant lui s’élève jusqu’au ciel. Cette tempête est ce que nous appelons le progrès.

AngelusNovus par Klee