Le web de Dominique Guebey – Les belles lettres

Page web  : http://www.dg77.net/pages/passages/bellow_am.htm


   D o m i n i q u e   G u e b e y    J u n g l e      Les belles lettres

Saul Bellow, Les aventures d’Augie March

Ed. Gallimard, trad. Josée Kamoun

Chap. VI

[…] L’ex-Mrs. Tambow était là, coiffure de duègne et pince-nez incurvé, accompagnée de son fils Donald qui chantait aux réceptions et aux mariages ; et aussi, par devoir familial, Karas-Holloway et sa femme, celle-ci avec sa touffe de caniche sur le front, exclusivement occupée de son habituelle nervosité et de ses contrariétés. Elle était plus que bien en chair, la figure rouge, envieuse, critique. Je me rendais compte qu’elle s’en prenait toujours à sa cousine par alliance pour se protéger des Einhorn. Elle ne leur faisait pas confiance. […]

Chap. IX

Dans mon nouveau boulot, je me suis senti dès le départ dévalorisé. La veuve du cousin de Ruber était une femme amère ; elle n’avait pas grande confiance en moi. Cette dame — elle portait son manteau de fourrure dans la boutique comme une cape, un chapeau du même animal évoquant une couronne d’épines, et elle avait un visage toujours conscient des imperfections dont il paraissait souffrir, une vilaine peau et des lèvres maigres — elle avait des problèmes d’estomac et s’étouffait de mauvaise humeur.

Chap. XI

« Qu’est-ce qui le ronge ? s’inquiéta-t-elle. C’est lui que j’ai entendu pleurer dans les chiottes, non ? Pourquoi il s’habille avec tant de chic ? Il a une femme sur le dos, hein ? »

Chap. XXI

Elle semblait être à la dernière mode, et avec ses sourcils et sa bouche bien dessinés, elle aurait pu avoir l’air séduisante si on n’avait pas vu combien sa patience et sa chair étaient épuisées. Ses artifices destinés à dissimuler l’impatience étaient usés. Bien sûr, elle remarqua que je portais déjà un costume de Simon. Non qu’elle eût des objections à formuler sur ce point, mais cela ne lui échappa pas. Quand elle s’adressait à vous, c’était sur un ton impérieux, un ton de commandement, elle était un juge sévère, et vous, l’accusé. Il fallait surveiller ses paroles. Mais de toute façon, elle finissait par se forger l’opinion qu’elle voulait. Dans son tailleur bordé de fourrure, grande et belle, elle rappelait en effet un magistrat, même avec son rouge à lèvres et son mascara. Et moi, j’étais comme un rusé pirate, un larron de mer, encore que, à la vérité, je n’osais pas trop riposter.