Le web de Dominique Guebey – Les belles lettres

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D.A.F. de Sade (1740-1814) La Philosophie dans le Boudoir (suite - Premier dialogue)

Ch : Comment ! Avec Dolmancé… tu fais venir une femme chez toi ?

S-A : Il s’agit d’une éducation ; c’est une petite fille que j’ai connue au couvent l’automne dernier, pendant que mon mari était aux eaux. Là, nous ne pûmes rien, nous n’osâmes rien, trop d’yeux étaient fixés sur nous, mais nous nous promîmes de nous réunir dès que cela serait possible ; uniquement occupée de ce désir, j’ai pour y satisfaire, fait connaissance avec sa famille. Son père est un libertin… que j’ai captivé. Enfin la belle vient, je l’attends ; nous passerons deux jours ensemble… deux jours délicieux ; la meilleure partie de ce temps, je l’emploie à éduquer cette jeune personne. Dolmancé et moi nous placerons dans cette jolie petite tête tous les principes du libertinage le plus effréné, nous l’embraserons de nos feux, de nos désirs, et comme je veux joindre un peu de pratique à la théorie, comme je veux qu’on démontre à mesure qu’on dissertera, je t’ai destiné, mon frère, à la moisson des myrtes de Cythère, Dolmancé à celle des roses de Sodome. J’aurais deux plaisirs à la fois, celui de jouir moi-même de ces voluptés criminelles et celui d’en donner des leçons, d’en inspirer les goûts à l’aimable innocente que j’attire dans nos filets. Eh bien, chevalier, ce projet est-il digne de mon imagination ?

Ch : Il ne peut être conçu que par elle ; il est divin, ma sœur, et je te promets d’y remplir à merveille le rôle charmant que tu m’y destines. Ah ! Friponne, comme tu vas jouir du plaisir d’éduquer cette enfant ! Quelles délices pour toi de la corrompre, d’étouffer dans ce jeune cœur toutes les semences de vertu et de religion qu’y placèrent ses institutrices ! En vérité, cela est trop roué pour moi.

S-A : Il est bien sûr que je n’épargnerai rien pour la pervertir, pour dégrader, pour culbuter dans elle tous les faux principes de morale dont on aurait pu l’étourdir ; je veux, en deux leçons, la rendre aussi scélérate que moi… aussi impie… aussi débauchée. Préviens Dolmancé, mets-le au fait dès qu’il arrivera, pour que le venin des ses immoralités, circulant dans ce jeune cœur avec celui que j’y lancerai, parvienne à déraciner dans peu d’instants toutes les semences de vertu qui pourraient y germer sans nous.

Ch : Il était impossible de mieux trouver l’homme qu’il te fallait : l’irréligion, l’impiété, l’inhumanité, le libertinage découlent des lèvres de Dolmancé, comme autrefois l’onction mystique de celles du célèbre archevêque de Cambrai ; c’est le plus profond séducteur, l’homme le plus corrompu, le plus dangereux… Ah ! Ma chère amie, que ton élève réponde aux soins de l’instituteur, et je te la garantis bientôt perdue.