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L' @ par Régine Detambel

Les fous d’Internet et les utilisateurs d’imeille sont des archéologues qui s’ignorent. Toute adresse électronique, tout clavier d’ordinateur, tout possesseur de surf-board, chevauchant les rouleaux des autoroutes de l’information, utilise désormais une touche antique, un doigt d’archéologie, le zeste d’une civilisation primitive, j’ai nommé le fameux caractère @.

Le signe @ se dit “at”. En anglais, c’est la désignation sèche (très économique) d’une adresse, d’un lieu d’émission et réception des courriers électronique. Mais le signe vient de plus loin : c’est un “a”, en effet, mais enroulé, tiré d’un alphabet peu ordinaire, sans doute encore lié à l’idéogramme, en tout cas plus parlant qu’une simple lettre. Dessina-t-il une queue de lézard ? un flagelle ? ou même une flagelle ? Si ce n’est un fouet, c’est un enroulement en tous cas. Ce signe fut en usage dans les premières colonies espagnoles, portugaises aussi. Son nom est l’«arrobas».

Il désigne, symbolise plutôt, une quantité, une mesure de poids, valant ordinairement 12,780 kg et vient de l’arabe ar-roub “le quart” (cf. le célèbre « Bidasse, remplis mon @ ! » Voir également, dans le Vent, de Clause Simon, p. 44, « (…) assis à cette terrasse éventée et déserte, et la serveuse qui vient de lui apporter son @ d’eau minérale… »).

En français, le mot se dit “arrobe”, est présent dans tous les dictionnaires. Claude Lévi-Strauss le cite dans Tristes Tropiques, à propos de « la frappe et l’expédition de 199 arrobes d’or, c’est-à-dire plus d’une tonne et demie ». Arragon l’utilise dans le Fou d’Elsa : « Il n’y a plus de charbon, plus une arrobe » Bref, le signe, lui, étant pratiquement devenu vacant, il a été récupéré à une époque récente sur les claviers d’ordinateurs qui gardent ainsi trace de quelque chose comme une « avant-langue » ou une autre langue, non tout à fait alphabétique.

A noter qu’il devient dès lors tout à fait possible d’adapter à Internet et au courrier électronique imeille des travaux oulipiens du genre “lipogramme en arrobe”, “monovocalisme en arrobe”, etc. Du même coup, pour les utilisateurs d’imeille rose, pourquoi ne pas imaginer des arrobes du soir, arrobes bain de soleil ou arrobes grandiosement décolletées ? Si les infographistes et les PAOïstes se penchaient sur la question, nous pourrions ainsi rendre caduque l’égalité que Prévert avait constatée avant même que nous ne possédions tous notre personal computer : “Cybernétique = Cythère bernique”.


Avec l’aimable autorisation de Régine Detambel.

Copyright © 1998 Régine Detambel [http://www.detambel.com] – Paru dans La Quinzaine Littéraire n. 731, 16-31 janvier 1998, p. 2. Voir le site de La nouvelle quinzaine littéraire [https://www.nouvelle-quinzaine-litteraire.fr/] .


[21 mai 2011] Sur l’arobe, voir aussi L’arobe, définition et débat [http://www.langue-fr.net/spip.php?article108] .

[14 mai 2018] Voir dans Les Misérables, 1re partie, livre 3, chap. VII « Sagesse de Tholomyès » :

« Et la preuve, señoras, la voici : tel peuple, telle futaille. L’arrobe de Castille contient seize litres, le cantaro d’Alicante douze, l’almude des Canaries vingt-cinq, le cuartin des Baléares vingt-six, la botte du tzar Pierre trente. »

Remarque : celà vient après que le même Tholomiès ait dit fameusement que « Le calembour est la fiente de l’esprit qui vole. Le lazzi tombe n’importe où ; et l’esprit, après la ponte d’une bêtise, s’enfonce dans l’azur. »